Guerre Russie-Ukraine : non, l’opération Spiderweb n’a pas violé le traité New Start sur le désarmement nucléaire
Autrices : Clarisse Le Naour, double cursus L3 science politique et L3 droit public à l’université Lumière Lyon II
Clara Robert-Motta, journaliste
Relecteur : Nicolas Haupais, professeur de droit public à l’université d’Orléans
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Nicolas Turcev, journaliste
Source : Compte Facebook, le 3 juin 2025
Des internautes soutiennent que l’attaque de drones ukrainiens menée, le 1er juin, contre des bases militaires russes, violerait le traité New Start sur le désarmement nucléaire. Sauf que l’argument ne tient ni par l’objet du traité, ni par la qualité des parties, ni par la nature des cibles. D’autant plus que cet accord, signé entre les États-Unis et la Russie, n’est plus en vigueur depuis sa suspension en 2023 par Vladimir Poutine.
Petit à petit, la guerre en Ukraine s’est étendue bien au-delà de la ligne de front. Le 1er juin 2025, une opération ukrainienne dénommée « Spiderweb » a visé quatre bases aériennes stratégiques russes situées à plus de 5 000 kilomètres du front. Le service de sécurité de l’Ukraine (SBU) a revendiqué dans un communiqué de presse avoir utilisé 117 drones, ciblant 41 appareils militaires lourds russes capables de mener des frappes nucléaires, comme les Tu-95 et Tu-160, des avions bombardiers.
L’ampleur du dispositif fait dire à des observateurs qu’il s’agissait là d’une opération « hors normes », ou bien même d’un « tournant ». Comme depuis le début de cette guerre dont les images sont nombreuses, ces attaques ont été décortiquées et commentées dans les moindres détails sur les réseaux sociaux.
Si chacun exprime librement son opinion et émet un avis sur les attaques, certains commentateurs vont plus loin et en appellent au droit. Selon eux, cet événement constituerait une violation du droit international, et plus précisément du traité New Start.
« C’est un acte de lâcheté et de trahison, les USA ont une grande part de responsabilité, c’est le non-respect du traité “New Start” », s’emporte une internaute sur Facebook. « L’Occident a tendu le piège. Kiev a appuyé sur le bouton », poursuit un autre. D’après eux, les États-Unis auraient violé ce traité en faisant passer des données sensibles aux Ukrainiens, leur permettant ainsi de cibler des zones russes plus facilement.
Toutefois, cette interprétation fait fi de la réalité, et ne tient pas compte de la portée du traité, des États parties au traité, ni de la nature des appareils visés. Qui plus est, ce texte, conclu entre Washington et Moscou pour encadrer le désarmement nucléaire, a été suspendu par Vladimir Poutine en 2023.
Un accord bilatéral suspendu
Pour bien comprendre, il faut revenir aux sources. Le traité New Start, signé entre les États-Unis et la Russie en 2010, porte sur le désarmement stratégique nucléaire. Troisième traité de la sorte – le premier avait été signé en 1991 –, il vise la réduction des armes nucléaires déployées par les deux puissances, notamment en plafonnant le nombre de têtes nucléaires, de missiles et de sous-marins.
Il exige également des mesures de transparence vis-à-vis de chacune des parties. En clair, pour éviter une course à l’armement et une escalade nucléaire déraisonnée, les deux géants militaires mondiaux se sont entendus pour garantir une équité des forces nucléaires.

Un soldat ukrainien de la troisième brigade d’affectation opérationnelle pilote un drone à l’occasion de son entrainement militaire, dans la région de Dnipropetrovsk, le 10 mars 2025 – Photo : Tetiana DZHAFAROVA / AFP
Mais premier hic : le traité New Start est inappliqué aujourd’hui. En effet, la Russie a suspendu sa participation en 2023 et ne tient plus ses obligations. Les États-Unis, par le principe de réciprocité en droit international, ne sont plus tenus non plus au respect de ce traité. Le traité New Start ne peut donc être invoqué ni par l’un ni par l’autre.
À l’époque de la suspension du traité, la Russie avait expliqué vouloir protéger ses positions militaires nucléaires. En effet, parmi les obligations de transparence, le traité prévoyait des visites de représentants de chaque pays sur les installations de l’autre.
Une obligation à laquelle le Kremlin ne voulait plus se soumettre étant donné que les États-Unis soutenaient largement – et de plus en plus – l’Ukraine. « Tant que l’Amérique assiste militairement l’Ukraine et tant que la guerre se poursuit, la Russie s’estime menacée dans ses intérêts vitaux », analyse David Cumin, maître de conférence en relations internationales à l’université Lyon 3.
Aujourd’hui, c’est l’infraction à ces mesures de transparence, bien qu’elles soient inappliquées, qui est retenue par les internautes comme constituant une potentielle violation du traité. Mais que dit vraiment le traité ?
Des mesures de transparence vaines
Le traité New Start définit les mesures de transparence et de vérification mutuelle dans ses articles III, V, VI, X, XI. Les moyens de vérification prévus comprennent des notifications d’activités (mouvements de missiles, nouvelles installations), des inspections sur site entre les deux parties, des échanges de données annuels (nombre de têtes nucléaires) ainsi que l’usage de satellites d’observation.
Or, cet échange d’information est au cœur du problème ici. « Le traité New Start exigeait de la Russie qu’elle rende ses bases visibles, pour prouver qu’aucune attaque n’était préparée. L’Ukraine, avec les satellites US, a utilisé cette “transparence” pour cibler précisément les bombardiers russes », résume un internaute sur Facebook.
D’après d’autres internautes, le traité aurait obligé la Russie à laisser leurs bombardiers exposés, laissant le champ libre aux Ukrainiens. « C’est faux, tranche Nicolas Haupais, professeur de droit public à l’université Paris-Saclay. Le traité n’oblige pas à laisser les équipements à l’air libre, il s’agit simplement de ne pas les dissimuler. »
En effet, l’article X du traité indique que les parties s’engagent « à ne pas recourir à des mesures de dissimulation qui empêchent de vérifier, par des moyens techniques nationaux de vérification, que les dispositions du présent traité sont respectées ».
Outre ces interprétations erronées du traité, plusieurs experts, comme Nicolas Haupais, assurent que l’Ukraine n’avait pas besoin d’utiliser les informations de ses alliés occidentaux – issues ou non du traité – pour connaître où se situaient ces bases militaires russes.
Interviewé par le média d’investigation russe en exil Meduza, le spécialiste du contrôle des armes, Pavel Podvig, explique que l’opération « Spiderweb » n’a vraisemblablement pas requis de renseignements spéciaux nécessitant l’intervention des États-Unis. « Une personne assise sur une colline avec des jumelles » aurait suffi à confirmer à l’opérateur des drones d’attaque la présence des bombardiers, explique l’expert.
La « ligne rouge » : une justification à l’escalade militaire ?
La question de l’implication des États-Unis dans cette attaque est, pour les Russes, loin d’être anodine. Depuis le début de la guerre, le Kremlin a indiqué qu’une participation directe des États-Unis ou de l’Otan à la guerre en Ukraine serait « une ligne rouge » à laquelle les Russes répondraient par des biais plus dangereux.
En d’autres termes, le discours adopté par plusieurs internautes raconte que l’attaque qui a frappé les bases aériennes russes contreviendrait au traité et pourrait désormais justifier une réplique nucléaire de la part de la Russie.
Sauf que cette affirmation est erronée, comme nous l’avons montré : le traité New Start n’a pas été violé lors de l’opération Spiderweb. Toute accusation de non-respect du traité dans le contexte des actions ukrainiennes serait juridiquement infondée.