Grenoble : après un premier arrêté anti-pesticides annulé par le juge, le maire Eric Piolle tente un arrêté anti-déchets… contre les pesticides
Dernière modification : 21 juin 2022
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay
Source : Site internet de France 3, le 22 février 2021
Face à son arrêté anti-pesticides qui sera certainement annulé par le juge, Éric Piolle tente d’interdire les pesticides en les qualifiant de déchets lorsqu’ils se répandent hors des exploitations vers le voisinage. Mais si le maire est bien en charge de la gestion des déchets, en droit, tout n’est pas déchet.
Éric Piolle, maire EELV de Grenoble, avait pris un arrêté anti-pesticides le 12 septembre 2019 en même temps que cinq autres villes. Or, le 31 décembre 2020, le Conseil d’État a annulé deux arrêtés antérieurs semblables des maires de Gennevilliers (Hauts-de-Seine) et Arcueil (Val-de-Marne). Et comme pour Gennevilliers et Arcueil, le préfet a saisi le juge administratif afin qu’il prononce une annulation de l’arrêté grenoblois. L’arrêté de Grenoble ayant le même fondement juridique que ceux de Gennevilliers et Arcueil, il y a de fortes chances que le juge l’annule aussi bientôt.
En attendant, le maire de Grenoble prend les devants et modifie la base juridique de son arrêté : puisque interdire les pesticides sur la base d’un trouble du voisinage est illégal selon le juge, Éric Piolle tente de les interdire en tant que déchets se répandant au-delà des exploitations agricoles. Contacté, Éric Piolle a répondu aux Surligneurs que « les pouvoirs de polices attribués au maire pour agir sur les troubles de voisinage et les déchets nous donnent toute compétence ». Il est vrai que ce sont les communes – et donc les maires – qui gèrent les déchets en France, mais le déchet est une notion bien précise en droit. Selon le Code de l’environnement, un déchet est « toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire ». Il existe même une liste européenne des déchets, avec des dizaines de catégories de déchets, dont les « déchets de produits agro-chimiques » : il s’agit des restes de pesticides et engrais non utilisés pour diverses raisons (par exemple du fait de la date de péremption dépassée) ainsi que de leurs emballages. Mais cette catégorie n’inclut pas les particules de pesticides dispersées dans le voisinage lors des épandages, ou à travers le sol par les écoulements. Or, c’est la raison majeure des arrêtés anti-pesticides.
En somme, si le maire gère bien les déchets en vertu du Code général des collectivités territoriales, il doit le faire selon la définition légale et ne peut pas mettre ce qui l’arrange dans cette notion. C’est pourtant ce que le maire de Grenoble tente de faire, en élargissant la définition du déchet au-delà de ce que prévoit la liste européenne, et donc en élargissant ses propres pouvoirs (ou compétences). Il n’est pas du tout certain qu’en cas de recours, le juge suive le maire dans son raisonnement : dire que les émanations de pesticides sont des déchets reviendrait par exemple à dire que les fumées d’usines le sont aussi. Or c’est faux juridiquement : seules les boues issues de l’épuration ou de la filtration des fumées sont des déchets. On pourrait ainsi pousser le raisonnement jusqu’à affirmer que les gaz d’échappement des tracteurs sont des déchets : or, toxiques, ils le sont, mais déchets, non.
Les tentatives de contournement des définitions juridiques sont fréquentes : ainsi, un maire qui veut absolument construire un immeuble sur le littoral de sa commune, alors que les littoraux sont protégés par le Code de l’environnement, n’aurait qu’à prétexter que sa commune se situe en réalité sur le bord d’un estuaire. Or, les estuaires font partie du littoral au sens de du Code de l’environnement.
Jouer sur les notions juridiques (ou « qualifications juridiques ») est un des passe-temps de tout juriste, et accessoirement son gagne-pain. Mais quand c’est trop gros, le juge ne suit plus.
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