Gérald Darmanin sur le ressortissant ouzbek expulsé : « J’ai décidé de le renvoyer dans son pays, qu’importe les décisions des uns et des autres. Nous allons tout organiser pour qu’il ne puisse pas revenir »
Dernière modification : 22 décembre 2023
Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
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Secrétariat de rédaction : Sasha Morsli Gauthier
Source : CNEWS, 13 décembre 2023
En refusant de respecter les décisions des juges européens et français, le ministre bafoue l’Etat de droit et expose la France à de lourdes sanctions financières.
Après l’expulsion d’un ressortissant ouzbek vers son pays d’origine, le Conseil d’Etat (ordonnance du 7 décembre 2023) a enjoint l’Etat à tout mettre en oeuvre pour le faire revenir, s’appuyant sur une décision de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, préfère « tout organiser » pour que cet homme ne revienne pas en France. Un affront direct fait aux juges nationaux et européens, qui méconnait un certain nombre de prinicipes.
Une protection garantie par la CEDH
En avril 2022, M. A., ressortissant ouzbek, a vu sa demande d’asile rejetée définitivement car il constituait, selon la Cour nationale du droit d’asile (et le Conseil d’Etat saisi d’un recours contre le rejet de la CNDA), une menace grave pour l’ordre public du fait d’une proximité avec des mouvances terroristes. Clamant que s’il rentrait en Ouzbékistan il serait victime de torture et de traitements inhumains et dégradants, il saisit alors la CEDH. Cette dernière reconnaît que M. A. peut subir des traitements dégradants et ordonne en urgence à la France, dans une décision du 7 mars 2022, de ne pas expulser cet individu, du moins le temps qu’elle rende une décision sur le fond de l’affaire. Malgré cela, le 14 novembre 2023, le ministre prend un arrêté d’éloignement à l’encontre de M. A. et l’expulse vers son pays d’origine. Saisi en urgence, le Conseil d’Etat rend une ordonnance le 7 décembre et enjoint à l’Etat de ramener l’intéressé en France afin de se conformer à l’ordonnance de la CEDH. Ce que Gérald Darmanin refuse.
Atteinte à l’autorité de la chose jugée
En refusant de respecter les injonctions du juge européen puis celles du juge français, Gérald Darmanin fait fi d’un principe essentiel à l’Etat de droit : l’autorité de la chose jugée. Lorsqu’un juge rend une décision et qu’aucun recours (en cassation par exemple) n’a été formé ou n’est plus possible, cette décision devient définitive et s’applique aux personnes concernées, même s’il s’agit de l’administration. On dit alors que cette décision de justice revêt l’autorité de la chose jugée.
Dans la mesure où le juge dit le droit, ne pas respecter sa décision revient à se soustraire au droit.
Sanctions possibles contre l’Etat
Ce refus de se conformer à une décision de la CEDH aura pour conséquence de provoquer des sanctions financières contre la France. Tant que la France sera partie à la Convention européenne des droits de l’Homme, elle devra la respecter. L’article 55 de notre Constitution prévoit la supériorité des traités sur nos lois nationales, et le Président de la République est garant de ce respect (article 5 de la Constitution). Si l’Etat français estime que le droit de la CEDH est trop contraignant et ne souhaite plus l’appliquer, il doit l’assumer, dénoncer la Convention et se retirer du Conseil de l’Europe, comme l’a fait la Russie.
Au niveau national, le Conseil d’Etat peut prononcer une injonction assortie d’une astreinte journalière à payer (articles L. 911-1 et suivant du code de justice administrative), forçant ainsi l’Etat à exécuter la décision du juge.
Contacté, Gérald Darmanin n’a pas répondu aux Surligneurs.
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