Gérald Darmanin ordonne aux préfets d’interdire systématiquement les manifestations propalestiniennes
Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public, Université de Picardie Jules Verne
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucun
Relecteurs : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucun
Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng
Source : France Info, 12 octobre 2023
C’est au préfet de décider d’interdire ou non une manifestation. Chaque interdiction doit être décidée au cas par cas, sous le contrôle du juge qui vérifiera que les risques de troubles invoqués par le préfet sont avérés selon les circonstances de lieux et de temps.
Dans un contexte d’intensification du conflit au Proche-Orient et à la suite des massacres perpétrés par le Hamas en Israël, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a passé la consigne aux préfets d’interdire les rassemblements en soutien aux Palestiniens. Un ordre illégal : on ne peut pas interdire des manifestations par principe, nous avons déjà surligné le ministre sur un sujet similaire.
UN MINISTRE NE PEUT ORDONNER AUX PRÉFETS D’INTERDIRE DE FAÇON SYSTÉMATIQUE
Le Code de la sécurité intérieure (article L. 211-4) prévoit que “si l’autorité investie des pouvoirs de police (et donc le préfet en l’occurrence) estime que la manifestation projetée est de nature à troubler l’ordre public, elle l’interdit par un arrêté qu’elle notifie immédiatement aux signataires de la déclaration au domicile élu”. La loi confère donc au seul préfet le pouvoir de vérifier qu’une manifestation déclarée est susceptible de provoquer des troubles à l’ordre public, et de l’interdire s’il “estime” que tel est le cas.
Le risque de trouble s’apprécie donc par le seul préfet sur le terrain, au cas par cas, après analyse des faits au moment où ils se produisent, et pas à l’avance, par principe. Donc le ministre de l’Intérieur, en ordonnant aux préfets d’interdire systématiquement et par principe les manifestations pro-palestiniennes, non seulement empiète sur les pouvoirs légaux des préfets, mais leur donne une instruction illégale.
LES PRÉFETS N’INTERDISENT UNE MANIFESTATION QU’EN CAS DE RISQUE AVÉRÉ DE TROUBLES
“La liberté est la règle, la restriction de police l’exception” : cette célèbre formule date de 1917, sous la plume d’un conseiller d’État. Donc il n’est pas possible d’interdire par principe une manifestation, ce serait une atteinte à la liberté d’expression, dont fait partie la liberté de manifestation.
L’interdiction ne peut être prononcée que si trois conditions sont réunies : elle doit être nécessaire au vu des circonstances locales, ce qui se décide au cas par cas. L’interdiction doit être la seule mesure adéquate, au sens où elle doit permettre d’éviter le trouble (ce qui est le cas lorsqu’est interdite une manifestation porteuse de troubles). Surtout, l’interdiction doit être proportionnée au sens où elle serait le seul moyen d’éviter le trouble à l’ordre public. Autrement dit, était-il possible de laisser la manifestation se dérouler, avec des mesures moins strictes comme une limitation du parcours (contourner certains lieux), ou un encadrement très serré par les forces de l’ordre ? Cette proportionnalité s’évalue là encore au cas par cas, jamais de façon systématique comme l’a ordonné le ministre.
Une interdiction sous contrôle du juge
Si des préfets de police et de départements interdisent par principe des manifestations en suivant les ordres du ministre, le juge, s’il est saisi, suspendra tout arrêté d’interdiction qui ne démontre pas les risques de trouble. En somme serait déclarée illégale toute interdiction qui ne serait basée que sur une émotion – comme c’est le cas en l’occurrence -, et non sur des risques précis et argumentés de troubles telles que des agressions ou des déprédations, ou encore des incitations à la haine raciale ou de l’apologie du terrorisme.
Ces risques existent au demeurant, le tribunal administratif de Paris l’a récemment reconnu face au préfet de police qui avait interdit une manifestation pro-palestinienne censée se tenir ce jeudi 12 octobre. Saisi d’un référé par une association pro-palestinienne afin qu’il suspende cette interdiction, le tribunal administratif, par une décision du même jour, a rejeté ce référé et donc confirmé l’interdiction de manifester. Motifs : le “contexte géopolitique particulièrement tendu suite à l’attaque terroriste d’ampleur lancée par le Hamas”, les “risques avérés d’infiltration de la manifestation par des groupuscules violents proches de l’idéologie du Hamas, à même de proférer des slogans et des actes à connotation antisémite”. Le tribunal s’appuie également sur “des antécédents en ce sens [qui] se sont produits le 13 juillet 2014, à l’issue d’une manifestation en soutien à Gaza”, qui ont donné lieu à des “heurts avec les forces de l’ordre et des groupes de défense juive” ainsi que de “nombreuses dégradations”, et cela d’autant que sont déjà relayés des appels à manifester au sein des quartiers sensibles, à quoi s’ajoute enfin l’absence de service d’ordre interne à la manifestation.
On le voit, le dossier est lourd à Paris, justifiant aux yeux du juge l’interdiction. Mais on ne saurait en déduire que toutes les manifestations pro-palestiniennes doivent être interdites par principe partout en France et en toutes circonstances. Ce sera au préfet de démontrer les risques de troubles à l’ordre public au cas par cas.
Contacté, le ministre de l’Intérieur n’a pas répondu à nos sollicitations
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