Fraude sociale : y a-t-il « entre 5 et 8 millions de fausses cartes Vitales » en France ?
Auteur : Nicolas Kirilowits, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Sasha Morsli Gauthier
Source : Compte Facebook, 10 avril 2024
Le sujet est bien connu et a très souvent tendance à revenir à la Une de l’actualité à l’approche des élections : la fraude sociale serait un sport national et plomberait le budget de la Sécurité sociale. Symbole des droits sociaux par excellence, la carte Vitale, reconnaissable dans tous les portefeuilles grâce à sa fameuse couleur verte, se retrouve parfois sous le feu des critiques.
Ainsi, selon les informations publiées sur un post Facebook qui s’appuie sur une interview de Charles Prats, ex-magistrat à la Délégation nationale à la lutte contre la fraude, il existerait « entre 5 et 8 millions de fausses cartes Vitales. » Un chiffre important et qui interpelle. Un chiffre aussi, et surtout, mal-interprété.
Grand écart
En effet, si de nombreux rapports confirment bien l’existence d’un écart conséquent entre le nombre d’habitants recensés en France par l’INSEE (68 373 433 précisément au 1er janvier 2024) et le nombre de personnes inscrites au RNIAM, le répertoire national d’immatriculation à l’Assurance maladie (73 109 186 au 1er janvier 2022), celui-ci ne signifie pas pour autant qu’autant de cartes Vitales sont en circulation en France.
En clair, une inscription au RNIAM, automatique dès la naissance, n’est pas égale à une carte Vitale contrairement à ce que semble croire l’internaute auteur du post. Comme le rappelle le site service-public.fr et l’a confirmé aux Surligneurs la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM), « c’est à partir de ses 16 ans que votre enfant prend connaissance de son numéro complet de sécurité sociale, lorsqu’il reçoit la carte Vitale. »
Est-ce à dire alors que le nombre réel de cartes Vitales correspond au nombre de personnes en âge d’en posséder une ? Si les données à ce sujet, plusieurs fois vérifiées par divers articles et reportages, sont impossibles à arrêter précisément, elles indiquent néanmoins un différentiel bien inférieur à celui avancé par l’internaute.
Dans un rapport publié en avril 2023, sur « Les évolutions de la carte vitale« , l’Inspection générale des finances (IGF) et l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) indiquaient que 58 millions d’assurés sont « équipés d’une carte Vitale. »
Des chiffres en pagaille
Or, la même année, d’après les chiffres de l’Insee, 56,7 millions d’habitants étaient âgés de 16 ans ou plus en France. Après une simple soustraction, nous pouvons en déduire que le « surplus » de cartes Vitales s’établit en réalité à environ 1,3 million.
Interrogée par Les Surligneurs, la CNAM précise de son côté qu’ »il n’y a plus de cartes Vitales surnuméraires pour le régime général« , soit pour le régime qui couvre 88% de la population française selon la Sécurité sociale. La Direction de la Sécurité sociale (DSS), chargée de la politique publique en la matière, n’a quant à elle, pas répondu à nos nombreuses sollicitations.
Toutefois, dans un rapport d’activité publié il y a deux ans, la DSS révélait que le stock de cartes Vitales surnuméraires s’établissait, au 31 décembre 2021, à 3 830 contre 609 000 deux ans plus tôt. Une baisse significative qui s’expliquerait par un rattrapage de l’administration : « Cet excédent de cartes n’était pas constitué de fausses cartes mais essentiellement le fait de cartes perdues, puis remplacées, sans que les anciennes aient été désactivées« , expliquait alors la Direction de la Sécurité sociale. Une clarification confirmée également par la CNAM auprès des Surligneurs.
Contradiction insoluble
Reste à élucider désormais l’écart constaté entre ces données transmises par les différentes administrations. Dans leur récent rapport, l’IGF et l’IGAS consacraient une annexe entière au sujet des « cartes Vitales surnuméraires et les résidents affiliés à l’assurance. » Les inspections, après 27 pages d’exposé, concluaient que « En tout état de cause, avec d’importantes approximations structurelles dans les données existantes sur les populations résidentes et assurées, l’exploration de l’écart entre les deux dénombrements semble aporétique. » L’aporie est, d’après la définition du Larousse, « une contradiction insoluble qui apparaît dans un raisonnement. »
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