Crédits photo : pankaj raj

#FactCheck. Tous les présidents américains ont probablement du sang royal en commun, oui. Et vous aussi.

Création : 28 mai 2024
Dernière modification : 29 mai 2024

Autrice : Clara Robert-Motta, journaliste

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, étudiante à l’École Publique de Journalisme de Tours

Source : Compte Instagram, 17 mai 2024

Depuis près de quinze ans, le travail d’une jeune Américaine qui aurait découvert que tous les présidents américains (sauf un) auraient pour ancêtre commun un roi anglais, est partagé comme preuve d’un complot d’une élite mondiale. Si la méthodologie de cette “étude” est critiquable, ses conclusions sont sans doute justes : Jean sans Terre est probablement un ancêtre commun de tous les présidents. Mais si c’est le cas, c’est aussi le vôtre.

Ils disent que tous les présidents sont liés à ces gens. Cet homme présent ne ressemble-t-il pas à eux ?” Une voix robotique nous enjoint à comparer la nouvelle peinture officielle du roi anglais Charles III à une photo en transparence du président américain, Joe Biden. “On pourrait croire qu’il est le père ou le grand-père de cet homme”, poursuit la voix d’un ton énigmatique. 

Dans cette vidéo, qui n’est en réalité qu’une traduction approximative d’une autre vidéo en anglais publiée sur Tiktok le 15 mai 2024, le narrateur entend montrer que tous les présidents américains sont issus d’un même ancêtre : un roi anglais du 13ᵉ siècle. Selon cette voix, cette information est la preuve qu’une seule lignée commande les États-Unis depuis la guerre de l’Indépendance. 

Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’idée que tous les présidents américains puissent avoir un ancêtre commun n’est pas si absurde. En revanche, ce n’est pas la preuve d’une lignée dominant le monde. En effet, toutes les personnes qui ont au moins un ancêtre européen peuvent revendiquer la même appartenance. Explication. 

Un exposé d’écolière

La vidéo nommée “The bloodline” (la lignée en anglais) publiée sur le réseau social chinois a engrangé plus de 70 000 vues en moins d’une semaine. L’utilisateur aux 145 000 abonnés, s’attarde sur le portrait de Charles III et poursuit avec un reportage d’une télévision locale californienne sur une écolière assurant avoir découvert que tous les présidents américains ont le même ancêtre commun : Jean sans Terre, roi d’Angleterre au début du 13e siècle.

À l’époque de ce reportage, plusieurs médias étasuniens, mais aussi internationaux, s’étaient penchés sur l’histoire de cette jeune fille. BridgeAnne d’Avignon est, en 2010, une élève de septième grade (12-13 ans) à la Monte Vista Christian School de Watsonville, en Californie. En 2010, elle présente un projet d’école dans lequel elle explique avoir parcouru plus de 500 000 noms sur Internet et dans “la base de son grand-père”, passionné de généalogie, pour retrouver les ancêtres de 43 présidents américains. Un parent de la jeune fille, Brock d’Avignon, indique par mail aux Surligneurs que la recherche de BridgeAnne s’est par la suite étendue aux « 46 présidents américains« . 

Incroyable, nous disent les reportages, la petite fille de 12 ans a découvert que tous les présidents (sauf un, en la personne de Martin Van Buren) descendent du roi d’Angleterre, Jean sans Terre, de la lignée des Plantagenêts. Ce roi a véritablement régné entre 1199 et 1216. Il a inspiré le personnage du méchant dans Robin des Bois et a signé la Magna Carta considérée comme l’ancêtre de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Selon le reportage, cet exploit aurait été rendu possible grâce à une technique innovante. La jeune généalogiste amatrice aurait remonté les lignées via les branches paternelles, mais aussi maternelles, là où les généalogistes précédents ne s’intéresseraient qu’aux ancêtres paternels. L’enfant de 12 ans aurait-elle fait mieux que les plus grands spécialistes de généalogie ? 

« Difficile à vérifier »

Peu probable, selon Murièle Ochoa-Gadaut, généalogiste professionnelle et co-autrice de Passion généalogie : toutes nos familles ont une histoire secrète. S’il est évident, pour elle, que les généalogistes s’intéressent aux deux branches familiales, elle précise toutefois qu’il est beaucoup plus compliqué de retrouver la trace des femmes dans les archives. “Elles apparaissent moins dans les documents anciens que les hommes. Pour les hommes, on a les listes électorales, les documents en lien avec l’armée, et bien d’autres. Pour les femmes, on est souvent limités à des traces comme ‘la femme de’, ‘la fille de’ ou ‘la veuve de’”. 

La petite généalogiste en herbe a-t-elle vérifié ses informations en parcourant des documents ? La méthodologie utilisée par la jeune fille et son grand-père est quelque peu floue. Contactés, ils n’ont pas répondu aux Surligneurs quant aux sources utilisées dans leurs recherches.

Or, il semble qu’il n’existe pas de travail généalogique réalisé “avec des standards de preuves appropriés” montrant que les présidents peuvent retracer leurs ancêtres jusqu’au roi Jean d’Angleterre, explique aux Surligneurs, la New England Historic Genealogical Society, la plus ancienne société de généalogie américaine. 

Les théories, telles que celle-ci, qui connecte à la royauté médiévale, peuvent être difficiles à vérifier avec de hauts standards de preuves, car les documents de cette période peuvent être incomplets”, poursuit la société.

En France, par exemple, l’ancêtre de l’état civil ne date que de 1539 avec l’ordonnance de Villers-Cotterêts qui fait obligation aux curés d’enregistrer les baptêmes. En Angleterre, les registres paroissiaux sont introduits seulement un an auparavant, en 1538. Remonter jusqu’au 13ᵉ siècle est déjà un exploit pour une lignée, mais alors pour tous les présidents, ce serait un véritable tour de force. Surtout si l’on ne s’appuie que sur ce que l’on trouve sur Internet.

Mauvaise méthode, bon business

In fine, si la méthodologie de la jeune fille est bancale et non vérifiée par les spécialistes de la généalogie, l’histoire prend auprès du grand public. Après une première présentation en 2010, s’ensuit une médiatisation assez importante où la fillette sera interviewée par des télévisions locales, nationales ainsi que des médias anglais comme le tabloïd Daily Mail. La jeune fille continuera à peaufiner le projet, et créera même un site nommé weareallrelated.com (nous sommes tous reliés.com). 

Aujourd’hui le site Internet n’est plus actif, mais entre 2010 et 2021 on pouvait y trouver des produits à vendre tel qu’un PDF de l’arbre généalogique des présidents réalisé par l’écolière à 19,95$ ou encore sa reproduction physique au doux prix de 379,95$. Des petites histoires sur la généalogie de chaque président seront également mises en vente à 2,95$ le mémo. 

Une pétition ainsi qu’une cagnotte avaient été mises en ligne pour aider BridgeAnne à présenter son travail à la Maison-Blanche. Le voyage semble n’avoir jamais abouti et ni BridgeAnne ni la Maison-Blanche ne nous ont encore répondu. Ce qui est certain, c’est que la famille d’Avignon a bien surfé sur la médiatisation de leur fille et de son travail pour arriver à ce marketing bien rodé.

Tous frères et sœurs ? 

Outre la méthodologie et le business, qu’en est-il de l’affirmation première ? Est-ce que les présidents américains pourraient réellement descendre d’un roi anglais ? 

L’idée que tous les présidents soient liés ne me paraît pas impossible, juge Raphaëlle Chaix, chercheuse en anthropologie génétique au CNRS-MNHN. Ce qui n’est pas juste, en revanche, c’est de penser que c’est un fait exceptionnel. L’ancêtre commun des Européens ne daterait que de 600 à 1000 ans.

Comment est-ce possible ? Serions-nous tous consanguins ? Oui, en quelque sorte. C’est une question de probabilité. Attention, sortons nos calculatrices. Nous avons deux parents, quatre grands-parents, huit arrière-grands-parents, et ça continue de doubler à chaque génération.

Sauf qu’au bout d’un moment, il y a plus d’ancêtres dans notre arbre généalogique qu’il n’y avait d’habitants dans le monde à l’époque. En 1100 par exemple, il n’y avait qu’entre 300 et 450 millions d’individus. Pourtant, théoriquement, vous pourriez avoir un milliard d’ancêtres.

Cet apparent paradoxe n’en est pas un. Dès les années 90, un professeur de Yale avait même théorisé l’idée d’un “point de l’ancêtre identique” : si l’on remonte assez loin dans le temps, il y a une personne via laquelle tous nos arbres généalogiques se croisent. Et si on remonte encore plus loin, toutes les personnes qui vivaient à l’époque sont soit les ancêtres de tout le monde, soit les ancêtres de personne (s’ils n’ont pas de descendants vivants).

Autrement dit, si tous les présidents des États-Unis étaient bien des descendants de Jean sans Terre, ce ne serait pas une surprise, car la plupart des Européens (et descendants d’Européens) le seraient aussi. Pas sûr, en revanche, qu’une filiation au 30ᵉ degré avec la royauté vous garantisse un accès au trône d’Angleterre.

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