#FactCheck. Une dent infectée peut-elle vraiment abîmer nos organes à cause de méridiens?
Dernière modification : 1 juillet 2024
Auteur : Antoine MAUVY, étudiant en droit à l’université Paris II Panthéon-Assas
Relecteur : Etienne MERLE, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Gladys COSTES, étudiante en licence de Science politique à Lille
Source : Publication Facebook, le 2 juin 2024
Dans une vidéo virale publiée sur Facebook, un internaute affirme que nos dents sont reliées à nos organes par des méridiens. Les dévitaliser affecterait donc tout notre organisme. Mais ces allégations n’ont aucun fondement scientifique.
Les Surligneurs n’ont de dent contre personne, mais aujourd’hui, un éclairage s’impose. Dans une vidéo postée le 2 juin sur Facebook, un internaute alerte sur une prétendue vérité scientifique de notre anatomie : “Chaque dent dévitalisée est 100 % infectée” car elle serait “morte”, explique-t-il. Cette information serait d’ailleurs cachée aux patients : “Ton dentiste ne te le dira pas, car la plupart ne le savent même pas”.
Pis encore, “chaque dent dans [la] bouche est liée à chacun des organes dans [le] corps par des méridiens !”, affirme-t-il. Ainsi, en dévitaliser une reviendrait à altérer le fonctionnement de notre organisme tout entier.
De quoi faire peur. D’autant que l’internaute sait convaincre. Sur la forme, la vidéo est impeccable. Le montage est dynamique et incisif. Son intonation, percutante. Bref, notre internaute est fort en bouche, osera-t-on.
Mais chez Les Surligneurs, il en faut plus pour nous faire saliver. Certes, le fonctionnement du corps humain est complexe, et ce n’est pas pour rien que les études pour devenir dentiste sont longues et ardues. Alors, nous avons mené l’enquête.
Un lien entre les organes et les dents ?
Tout d’abord, reprenons à la racine. D’où vient cette idée que nos organes seraient liés à nos dents ? Cette croyance provient de deux médecines non conventionnelles. La première est la “dentisterie holistique”, la seconde la médecine chinoise traditionnelle. Notre internaute n’ayant pas fourni ses sources dans la vidéo, nous avons donc choisi de vous les présenter nous-même.
La “dentisterie holistique” est une pensée initiée par le dentiste et nutritionniste américain Weston A. Price à partir du XIXème siècle. Elle préconise une approche globale de l’organisme pour répondre aux problèmes dentaires, le mot holisme signifiant “comme constituant un tout”.
Pour faire simple, dans cette vision médicale, les maladies et infections s’inscrivent dans un contexte général, du corps humain tout entier. Ainsi, une douleur au pied peut être reliée à une douleur aux dents.
La France a d’ailleurs son chef de file, le docteur Albert Roths. Ce dernier a ouvert un site internet où il explique ses recherches et y publie ses productions. Parmi celles-ci, nous pouvons trouver un tableau qui illustrerait les liens entre organes et dents, vendu pour la somme de 41 euros.
Cette correspondance des dents aux organes s’appelle la “somatotopie”. Sur son site, il l’explique à travers des histoires comparables aux miracles contés à travers les âges. Par exemple, un enfant paralysé retrouve l’usage de son gros orteil au moment-même où lui aurait été arrachée une de ses dents, dévitalisée. Par la suite, le jeune homme retrouvera l’usage de ses membres.
Médecine traditionnelle chinoise
Place à la seconde théorie, la médecine chinoise traditionnelle. Plusieurs pratiques trouvent leurs sources historiques en celle-ci, comme l’acupuncture par exemple. Cette médecine fait état de méridiens, des sortes de lignes de flux énergétique, traversant notre corps et diffusant le “qi”, l’énergie. Ces flux pourraient créer une causalité entre un problème aux dents et un organe (entre autres) grâce à un méridien reliant dents et reins.
Contrairement à la dentisterie holistique, la médecine traditionnelle est reconnue par la communauté scientifique dans la mesure où l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) encourage son utilisation de manière complémentaire à la médecine conventionnelle.
Aucune preuve scientifique
Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il existe des méridiens entre les dents et les reins. Ni même qu’il est possible de retrouver l’usage de sa jambe et se faisant arracher une dent : “Il n’existe pas de littérature scientifique reconnue qui fait état d’un lien, dans notre corps, entre dent et organe”, balaie la chirurgienne-dentiste Nathalie Delphin, présidente du Syndicat des femmes Chirurgiennes-Dentistes.
Une affirmation confirmée Sylvie Babajko, directrice de recherche à l’Inserm (Institut National de la Santé et de la Recherche Médical) : » La dent est un organe à part entière et en tant que tel se trouve reliée à des terminaisons nerveuses ou des vaisseaux sanguins, on le voit bien quand on arrache une dent, on peut saigner« , détaille-t-elle. »Maintenant, comme pour les autres organes, il n’y a pas de connexions établies, démontrées comme étant liée à des émotions particulières ou à des évènements autres que les faits biologique que je viens de vous décrire« .
Du côté de certains partisans d’une approche holistique des pathologies dentaires, même réponse : « Personne n’a prouvé que les méridiens d’acupuncture existent« , souligne Juliette Peyronnet, chirurgienne-dentiste, détentrice d’une maitrise en sciences biologiques et médicales et formée à la naturopathie, l’ostéopathie et l’homéopathie.
Écrivaine sur le sujet de la dentisterie holistique, elle nuance également les correspondances établies entre dent et organe par le docteur Roths : « Il faut se méfier des correspondances. Ce n’est pas si simple, l’organisme est très complexe. Mais on a vu des parallèles. Ça donne des pistes et c’est tout.«
Effet domino
Pour l’heure, le seul lien qu’on pourrait reconnaitre scientifiquement entre dent et organe serait celui de cause à effet. En ce sens, la chirurgienne dentaire, Nathalie Delphin, explique qu’une carie peut provoquer une tendinite à la cheville, ou encore un mal de dos.
Une conséquence qui ne tient pas du miracle, mais plutôt d’un effet domino : “Si la carie n’est pas soignée, ça détruit la dent petit à petit, donc la façon de mastiquer avec la douleur ou la façon de positionner les dents par rapport aux autres va se modifier. Votre mâchoire va alors se décaler. Ensuite, cela va modifier votre posture au niveau de votre colonne vertébral, car la mâchoire y est reliée.” Et ainsi de suite, jusqu’à la cheville par exemple.
Des dents mortes dans notre bouche ?
Aucune des deux théories exposées ne nous permet de corroborer l’existence d’un lien matériel entre organes et dents. Néanmoins, une autre interrogation demeure. La dévitalisation serait-elle synonyme de “mort” de la dent et annonciatrice d’une infection future, comme l’annonce notre internaute ?
Là encore, il se trompe. La dent garde une utilité, même après une dévitalisation, comme l’explique Nathalie Delphin : « Dévitaliser, ça ne veut pas dire « enlever la vie à ». Ça veut dire retirer la pulpe [le nerf, ndlr] nécrosée de l’intérieur de la dent, bien nettoyer, désinfecter et refermer hermétiquement.” Nos confrères de Santé Magazine ont d’ailleurs rédigé un article expliquant en détail une telle opération.
Notre experte indique également que la dent “garde un rôle” dans le fonctionnement de la mâchoire, “de la mastication” par exemple. “Ce n’est pas un organe nécrosé qu’on laisse et qui finirait par causer des problèmes. Nous la préservons pour qu’elle garde son utilité le plus longtemps possible”.
Il convient de souligner qu’un tel acte n’est pas exempt de risque. Si la cavité dans laquelle se trouvait la pulpe n’est pas correctement fermée et que des bactéries s’y développent, un danger guette. Le reste du corps pourrait être impacté par cette contamination, car la dent dévitalisée reste en contact avec le sang, qui circule à sa racine. “Et ce sont souvent des bactéries qui adorent le coeur” souligne Mme Delphin. Un suivi médical régulier s’impose alors.
[Ajout de la mention « chirurgienne-dentiste », concernant la docteure Juliette Peyronnet, le 17 juin 2024]
[Ajout de la mention « à cause de méridiens », dans le titre de l’article, le 01 juillet 2024]
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