#FactCheck. Non, les perturbateurs endocriniens ne changent pas l’orientation sexuelle des individus
Dernière modification : 31 mai 2024
Auteur : Antoine Mauvy, étudiant en droit à Paris II Panthéon-Assas
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Sasha Morsli Gauthier
Source : Comte Facebook, 20 mai 2024
Selon plusieurs internautes, les perturbateurs endocriniens pourraient faire changer l’orientation sexuelle des individus en provoquant des troubles hormonaux. Cette théorie, en plus de servir un narratif homophobe, ne repose pas sur des bases scientifiques.
“Le livre choc pour comprendre la vie, les cancers, les allergies, l’industrie et les LGBT”, rien que ça. Le 20 mai dernier, sur Facebook, un internaute informe sur la publication de l’ouvrage, “Le grand désordre hormonal“, écrit par l’ancienne journaliste Corinne Lalo sur “ce qui nous empoisonne à notre insu”.
Dans ce post aux relents apocalyptiques, il est question d’une multitude de produits du quotidien qui auraient des conséquences sur notre santé. Leur point commun ? Être composé de perturbateurs endocriniens. Ces substances altèrent les fonctions du système endocrinien (responsable des hormones) et produisent des effets néfastes dans un organisme intact ou chez sa progéniture, selon l’Organisation mondiale de la Santé. Une exposition importante à ces substances provoque cancers, allergies, mais aussi baisse de la fécondité.
Si ces effets néfastes des perturbateurs ont déjà été documentés, l’internaute apporte ce qu’il présente comme de nouveaux éléments. Toujours en s’appuyant sur les prétendues révélations de l’ouvrage, il affirme que ces substances pourraient faire changer l’orientation sexuelle des individus : “Ce qui explique l’explosion du lobby LGBT… victime de ces perturbateurs endocriniens”, écrit l’internaute.
Ainsi, selon lui, l’orientation sexuelle — et a fortiori l’homosexualité — serait un “dysfonctionnement” au même titre que le cancer ou les allergies. Ce n’est pas la première fois que de telles théories sont avancées. L’ancienne ministre de l’Environnement sous le gouvernement Valls, Ségolène Royal, a également tenu des propos similaires en visant, cette fois, la communauté transgenre.
Voilà une bonne occasion pour Les Surligneurs de faire le point sur le sujet, répondre à certains questionnements et rappeler que l’homosexualité, la bisexualité ou encore la transidentité ne sont pas des pathologies. À l’heure où les agressions homophobes et transphobes se multiplient, une vigilance particulière s’impose face aux amalgames nauséabonds.
Altération du système endocrinien
Place à la science et commençons par expliquer comment les perturbateurs endocriniens agissent sur notre corps. Ces substances, que l’on retrouve dans différents objets du quotidien, ont pour effet de perturber le fonctionnement de notre système endocrinien. Ce dernier coordonne le fonctionnement des différents organes par le biais d’hormones : “Une hormone, ce n’est rien de plus qu’un messager, fabriqué par un organe, qui part d’un endroit du corps pour rejoindre une cible. Le but de l’hormone va être d’aller donner une information à un autre endroit du corps”, explique Mélanie Popoff, médecin de santé scolaire, co-fondatrice de l’Alliance Santé Planétaire et autrice de l’ouvrage “Les perturbateurs endocriniens : on arrête tout et on réfléchit !“ aux éditions Rue de l’échiquier.
Avec ces perturbateurs, le système endocrinien peut donc être altéré de différentes manières : au niveau de la production des hormones, au moment où elles se dégradent dans notre corps ou encore lors de leur fixation sur les récepteurs.
L’une des substances les plus connues et identifiée comme un perturbateur endocrinien est le Bisphénol A. Depuis décembre 2012, il est interdit en France dans les contenants destinés aux enfants de moins de trois ans. De nombreuses études ont démontré qu’il augmente le risque de cancer du sein, d’obésité, de diabète ou encore une baisse de la fertilité. Mais les perturbateurs endocriniens peuvent-ils aussi changer notre orientation sexuelle, comme l’affirme notre internaute ?
Aucun consensus scientifique
En réalité, il n’existe aujourd’hui aucun consensus sur cette question, explique Jean-Claude Carel, professeur d’endocrinologie pédiatrique à l’Université Paris Cité et chef de service à l’hôpital Robert-Debré. “Il y a plein de gens qui travaillent sur les effets potentiels des perturbateurs endocriniens, et l’orientation sexuelle ne fait pas partie de cette liste“, détaille-t-il.
Les différents travaux recensés sur le site de Santé Publique France ne font effectivement nullement référence à une modification des envies sexuelles chez les individus en contact avec des perturbateurs endocriniens.
Une étude, d’ailleurs reprise par notre internaute dans son post Facebook, indique qu’il est possible que la modification du système hormonal ait une incidence sur certains animaux, comme l’ibis, un oiseau au long bec. Au contact d’un perturbateur endocrinien spécifique (le méthylmercure), ces oiseaux adopteraient des comportements homosexuels qu’ils n’avaient pas auparavant.
Pour autant, il n’est pas possible d’appliquer ces résultats à des êtres humains. L’auteur de l’étude sur les ibis reconnaît lui-même qu’il ne faut pas faire une telle analogie : “N’allez pas en conclure que les hommes qui ingèrent du mercure vont devenir gays“, relate Le Figaro.
“Liée à mille et un facteurs”
Au-delà même de savoir si tel ou tel perturbateur endocrinien modifie le taux de telle ou telle hormone, il n’existe même aucun consensus sur le rôle déterminant ou non des hormones dans l’orientation sexuelle des humains.
Certaines études récentes ont montré que l’orientation sexuelle chez l’humain est multifactorielle : “Elle est liée à mille et un facteurs : génétiques, sociétaux, culturels, psychologiques, affectifs : c’est une construction très complexe“, explique Stéphane Clerget, pédopsychiatre et auteur du livre “Comment devient-on homo ou hétéro ?” aux éditions JC Lattès.
Rien à voir avec la sexualité des animaux qu’il qualifie de plus “stéréotypée” : “Elle peut se déclencher avec une odeur ou une période de la vie qui entraîne des comportements, eux aussi, tout à fait stéréotypés.“
Des expériences ratées
Faute de consensus scientifique, comment savoir la potentielle influence des hormones sur l’orientation sexuelle humaine ? Difficile de répondre, mais pour Stéphane Clerget, des expériences passées ont montré les limites de ce raisonnement.
Aux États-Unis, dans les années 40-60, “le siècle le plus homophobe de notre histoire“, selon ses mots, des traitements ont été prodigués à des personnes pour tenter de démontrer que l’injection d’hormone mâle (la testostérone) chez les hommes homosexuels pouvait atténuer leur attirance pour d’autres hommes. “Évidemment, cela a eu un effet, mais sur l’aspect physique des individus : des poils par exemple, cela a pu jouer sur le tempérament, plus ou moins agressif, mais ça n’a jamais changé les orientations sexuelles des individus ainsi “traités”“. Dès lors, les hormones ou leur dérèglement ne peuvent donc pas être des facteurs explicatifs suffisants de l’orientation sexuelle des individus, contrairement aux insinuations de notre internaute.
Risque de dérives
Et elles ne peuvent encore moins expliquer une soi-disant “explosion du lobby LGBT” dénoncée par notre internaute. En effet, comment savoir si les personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles ou trans sont plus nombreuses aujourd’hui que jadis, dans la mesure où ces pratiques étaient prohibées, donc occultées ? “Rien ne nous dit qu’il y a plus d’homosexuels aujourd’hui qu’hier. On n’a aucune preuve, personne ne peut l’affirmer. Que la visibilité soit plus importante aujourd’hui en Occident, bien sûr : mais tout simplement parce que c’est légal“, affirme Stéphane Clerget.
“C’est la porte ouverte à dire que l’orientation sexuelle ou l’identité de genre seraient une pathologie liée à des facteurs comme la pollution ou à des facteurs externes qui seraient contrôlables, évitables”, réagit Mélanie Popoff, la médecin de santé scolaire. Une pente glissante donc, qui pourrait aisément être exploitée par les partisans d’une discrimination homophobe.
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