#FactCheck. Les transitions de genre sont-elles entièrement remboursées par la Sécurité sociale ?
Dernière modification : 12 juin 2024
Autrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Autrice : Sasha Morsli Gauthier, étudiante à Sciences Po Paris
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Gladys Costes, étudiante en licence de Science politique à Lille
Source : Compte Facebook, le 22 mai 2024
Une partie des frais pour les transitions de genre sont bien pris en charge par la Sécurité sociale, mais les difficultés d’accès au soin obligent souvent les premier.e.s concerné.e.s à se tourner vers le privé, plus cher et moins bien remboursé, voire à l’automédication.
100 000 euros aux frais du contribuable… Voilà ce que coûterait une transition de genre féminine (pour les femmes trans) selon l’écrivaine Dora Moutot, dans une interview donnée à Sud Radio le 15 avril dernier.
Au micro du journaliste identitaire André Bercoff, qui s’interrogeait sur le coût que représenterait sa propre transition de genre, l’autrice détaille le coût supposé : « Pour faire tout ce qu’il faut, c’est-à-dire prendre des hormones à vie […], chirurgie génitale, chirurgie faciale, épilation intégrale, opération des cordes vocales, de la pomme d’Adam, [et] avoir quelqu’un qui vous aide à rééduquer votre voix […], on est à plus de 100 000 euros. »
Voici, selon elle, pour les prix du secteur public. Elle précise que ce montant est intégralement « pris en charge par la Sécurité sociale ». Autrement dit, les personnes transgenres bénéficieraient d’un parcours de transition aux frais de la princesse. Rien que ça.
L’extrait est repris par un internaute sur Facebook, dont le commentaire transpire l’indignation et la haine : « 100 mille balles pour transformer des trous du culs alors qu’on a du mal à se faire rembourser l’essentiel des soins nécessaires pour des gens normaux ! »
Outre la violence du propos envers les personnes transgenres, cette supposée injustice est exagérée par l’internaute et Dora Moutot. En effet, la comparaison avec d’autres « soins nécessaires » s’avère peu pertinente, notamment du fait de la difficulté des parcours de transition de genre.
Bien loin du compte
Les Surligneurs ont commencé par vérifier si toutes les interventions citées par Dora Moutot représentaient, additionnées, un coût de « plus de 100 000 euros ». Et on se demande bien comment l’autrice du pamphlet anti-trans Transmania a bien pu trouver ce genre de chiffres tant il est difficile de donner une estimation.
« Rocambolesque », « complètement surévalué », « délirant ». Pour tous les acteurs du monde médical et associatif interrogés, ce chiffre semble complètement exagéré. Rappelons d’abord qu’il n’existe pas un parcours de transition standard, et que chaque parcours sera différent selon la personne qui le réalise. « Ainsi, une femme trans va pouvoir décider de prendre un traitement hormonal, mais de ne pas faire d’opération chirurgicale. Ou de faire une mammoplastie mais pas de vaginoplastie. C’est variable selon les envies et besoins de la personne concernée », explique une formatrice sur les questions de transidentité, qui préfère rester anonyme par peur « d’être encore harcelée ».
Imaginer que toutes les personnes réalisent le même parcours médical est tout à fait réducteur, et finalement trompeur car le coût va varier selon la transition. D’autant que selon une étude européenne de 2020, en France, seules 17 % des personnes trans décidaient de recourir à une transition médicale.
Mais pour simplifier, prenons les soins et chirurgies détaillés par Dora Moutot durant son interview : combien coûtent-t-ils ?
Moitié moins
Pour le traitement hormonal, le prix est généralement peu élevé : une dizaine d’euros par mois. En fonction des personnes, le traitement hormonal peut être pris toute la vie, ou interrompu au bout de quelques décennies ou mois. À titre d’exemple, 50 ans de traitement hormonal représenteraient un coût de 6 000 euros de médicaments, détaille Anaïs Perrin-Prevelle, directrice de l’association OUTrans, association féministe d’autosupport trans.
Côté opérations chirurgicales, il existe une très grande disparité entre les praticiens dans le public et le privé. La « chirurgie génitale » est la plus coûteuse : entre 7 000 et 15 000 euros pour une vaginoplastie selon l’endroit et le chirurgien, poursuit la directrice de l’association. Comptez entre 2000 et 6000 euros pour une chirurgie faciale quand une mammoplastie ira chercher entre 4000 et 5000 euros. Pour la chondrolaryngoplastie (diminution de la pomme d’Adam), l’opération se chiffre aux alentours de 1500 euros.
Difficile d’estimer le coût pour l’épilation intégrale, tant cela diffère selon les parties du corps et la nature du poil : généralement, on dépensera entre 100 et 140 euros pour une séance (comptez une vingtaine de séances). Pour les séances de travail de la voix chez l’orthophoniste, le coût tourne autour d’une trentaine d’euros environ une fois par semaine ou moins. Le suivi dure en moyenne « deux ans, pour certaines ce sera quatre à six mois, pour d’autres plus », précise Mathieu Meurier, coach vocal qui accompagne les personnes trans.
Donc, si l’on prend la fourchette haute, on n’arrive même pas à 50 000 euros. Soit moitié moins que ce qu’assure Dora Moutot.
Autre point sur lequel l’autrice s’avance : la Sécurité sociale prendrait tout cela en charge. Il est vrai que, dans le panel d’opérations chirurgicales possibles, la plupart peuvent être remboursées pour tout ou partie. Ce « peuvent être » fait toute la différence, car l’accès aux soins souffre d’une très grande hétérogénéité en France. Et dans les faits, il est faux de dire que ces charges sont intégralement couvertes.
Pour les personnes en transition, la logique est la même que pour toute personne souhaitant être remboursée de frais médicaux. Si l’acte est prescrit par un médecin, la Sécurité sociale prend en charge une partie et l’autre sera couverte par la mutuelle (privée et payante) ou par la complémentaire santé solidarité. L’acte sera remboursé selon un tarif fixé au préalable par la Sécu, et qui ne prend pas en compte les dépassements d’honoraires.
Au vu des délais dans les hôpitaux publics, une bonne partie des personnes trans décident de se tourner vers le privé. « Dans le parcours public, les délais peuvent être de sept ans d’attente », précise Maud Royer, présidente de l’association féministe ‘Toutes des femmes’. Or, dans une partie conséquente des cas, la notion d’urgence est déterminante et « la plupart de ces opérations se font en parcours privé », explique-t-elle. Le taux de remboursement est aussi assez faible par rapport au prix réel et aux dépassements d’honoraires dans le secteur 2.
Parcours du combattant
La prise en charge des soins peut être facilitée par la reconnaissance d’une « affection longue durée » (ALD). Là aussi, c’est un peu technique. Première étape : trouver un médecin pour monter un dossier d’ALD auprès des Caisses d’assurance maladie qui fonctionnent de façon départementale. « Pour la transition médicale, la première difficulté est d’entrer dans le parcours, décrit Caroline Beyer, chercheure spécialiste sur le droit de la santé et les parcours trans. Dans les grandes villes, il est plus facile de trouver des médecins généralistes, des endocrinologues ou des centres de santé qui connaissent le sujet et pourront aiguiller. » Outre la question de la connaissance de ces parcours, les personnes trans pâtissent comme les autres des déserts médicaux.
Deuxième étape : le dossier doit être validé par un médecin-conseil de la CPAM. Or, tous ne gèrent pas les dossiers de la même manière. Certains médecins refusent l’ALD au motif qu’ils n’ont pas reçu d’évaluation psychiatrique, qui n’est pourtant plus obligatoire. Car depuis 2010, le « transsexualisme » est dépathologisé en France, mais les personnes trans peuvent toujours faire la demande d’une ALD « hors liste ». N’en déplaise à Marion Maréchal, la Sécurité sociale prend en charge d’autres choses que les « maladies » comme Les Surligneurs l’avaient rappelé.
La Caisse nationale d’assurance maladie a, d’ailleurs, envoyé plusieurs lettres de cadrage à ses antennes départementales pour rappeler les bonnes pratiques, mais son application est variable selon les territoires.
Et même si l’ALD est acceptée, cela ne veut pas forcément dire que le parcours de transition sera un long fleuve tranquille gratuit… loin de là. Clémence Armand, chargée de mission Genre et orientation sexuelle pour la Défenseure des droits, explique que l’institution reçoit de nombreuses saisines de personnes trans qui se voient refuser des remboursements ou des ententes préalables pour des opérations de la part de la CPAM ne s’appuyant sur aucune indication légale. En 2022, la CPAM de Roubaix-Tourcoing a, par exemple, été condamnée pour avoir refusé le remboursement d’une mammoplastie à une patiente trans.
C’est notamment le cas pour les traitements hormonaux qui sont parfois exclus de la prise en charge dans le cadre de l’ALD, car hors autorisation de mise sur le marché. Ce jargon médical signifie que les hormones existent sur le marché français, ils sont légaux, mais la transition de genre n’est pas incluse dans les indications déclarées par les fabricants auprès de l’agence de régulation des médicaments. Cela n’empêche pas d’être susceptibles d’être prescrits pour les personnes trans, mais c’est au bon vouloir des médecins qui prescrivent.
Face à ces difficultés d’accès, des personnes trans ont recours à l’automédicamentation, qui peut être dangereuse, alerte une formatrice spécialisée sur ces questions.
Dans ces conditions, les affirmations de Dora Moutot sont à minima simplistes, au pire mensongères. Pour l’heure, en France, la transition relève plutôt du parcours du combattant dont la charge financière pèse encore très largement sur les personnes concernées, malgré le droit aux soins dont elles sont censées bénéficier.
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