Credit : David Henry

#FactCheck. Yaël Braun-Pivet dispensée du respect du règlement de l’Assemblée nationale ?

Création : 12 juin 2024
Dernière modification : 13 juin 2024

Autrice : Lili Pillot, journaliste

Relecteur : Etienne Merle, journaliste 

Relecteur : Jean-paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Antoine Mauvy, étudiant en droit à l’université Paris II Panthéon-Assas

 

Source : Compte Facebook, 29 mai 2024

Sur Facebook, un internaute blâme Yaël Braun-Pivet pour s’être octroyée le droit de porter un pin’s aux couleurs du drapeau israélien, alors qu’elle sanctionne le député Sébastien Delogu pour avoir brandi un drapeau palestinien en mai 2024. Si la présidente de l’Assemblée nationale a bien porté cet insigne, elle l’a fait dans un contexte juridique différent et… huit mois auparavant.

“Sans doute car elle juive” : voici l’explication ultime avancée par cet internaute pour justifier, à sa manière, le port d’un pin’s aux couleurs d’Israël par Yaël Braun-Pivet. Il lui reproche de s’octroyer ce droit, alors même que le bureau de l’Assemblée nationale, qu’elle préside, a sanctionné le député LFI Sébastien Delogu pour avoir brandi un drapeau palestinien dans l’hémicycle, le mardi 28 mai 2024.

Pour relayer cette information, l’internaute se base notamment sur un montage vidéo posté sur X. On y voit, à gauche, le député Sébastien Delogu brandir le drapeau aux couleurs de la bande Gaza. À droite, la présidente de l’Assemblée nationale, solennelle, arbore un pin’s symbolisant le soutien à l’état hébreu et l’amitié franco-israélienne.

Pourtant, et contrairement au député LFI qui a écopé d’une peine de 15 jours d’exclusion et d’une réduction de la moitié de son indemnité durant deux mois, aucune sanction n’a été prise à l’encontre de la présidente de l’Assemblée nationale pour ce port de pin’s. Y aurait-il donc un deux poids, deux mesures, comme le clament certains internautes sur les réseaux sociaux ? Yaël Braun-Pivet aurait-elle dû être sanctionnée au même titre que Sébastien Delogu pour le port de ce pin’s ?

Contexte d’hommage national et tradition républicaine

D’abord, détail important : ces deux séquences ne se déroulent pas au même moment. Celle de gauche, montrant Sébastien Delogu a lieu le 28 mai 2024, après l’attaque de l’armée israélienne sur un camp de réfugiés à Rafah, tandis que celle de droite se déroule le 10 octobre 2023, trois jours après l’attaque terroriste du Hamas en Israël. Soit une différence de huit mois entre les deux. Il est donc trompeur de comparer les deux événements comme étant quasiment concomitants et similaires, comme le font certains internautes.

D’autant plus qu’ici, le contexte temporel a son importance. “La problématique du pin’s, c’est qu’il ne s’inscrit pas dans une opinion, mais dans le contexte d’un hommage national. Cela fait partie des traditions républicaines. L’hommage national à Israël au lendemain des attaques du 7 octobre a notamment permis l’extinction de la tour Eiffel puis son illumination aux couleurs du drapeau israélien”, recontextualise Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay. “Si la présidente de l’Assemblée nationale portait le même pin’s aujourd’hui, ou fin mai 2024, ce serait tout aussi contraire au règlement de l’Assemblée que le déploiement du drapeau palestinien”.

Avec le même raisonnement, on peut estimer que “s’il y avait eu un hommage national au peuple palestinien, un signe de solidarité discret aurait été autorisé, et non un drapeau” précise Jean-Paul Markus. En effet, certains textes, sur la base desquels Sébastien Delogu aurait pu être sanctionné, interdisent de brandir des pancartes et des drapeaux au sein de l’Assemblée.

Dans les faits, aucun contexte d’hommage national en faveur des Palestiniens de Gaza n’a été observé fin mai 2024. De fait, le déploiement du drapeau palestinien n’intervient pas dans un contexte d’hommage particulier et enfreint le Règlement de l’Assemblée.

“Le juge constitutionnel n’a pas de contrôle sur l’Instruction générale du bureau”

En l’occurrence, le Bureau de l’Assemblée nationale a estimé que le député LFI Sébastien Delogu avait commis les fautes décrites à l’article 70 du règlement de l’Assemblée.  Il a donc été sanctionné pour “manifestation troublant l’ordre”, plus que pour le sens de son action.

Ce n’est donc pas le soutien au peuple palestinien qui est condamné, mais ses modalités.

Le bureau de l’Assemblée aurait-il pu sanctionner le député pour le seul déploiement du drapeau ?

A priori oui, car un autre texte statue sur la “tenue en séance” : l’article 9 de l’Instruction générale du Bureau.”Dans les règles de fonctionnement internes des assemblées, vous avez le RAN et l’Instruction générale du bureau. Ce dernier document met en application le RAN, sous forme d’arrêtés de bureau. C’est un de ces arrêtés [l’article 9] qui impose aux membres de l’Assemblée nationale une tenue vestimentaire et interdit les pancartes.” explique Sophie de Cacqueray, maître de conférences en droit public et spécialiste de droit parlementaire et du Conseil constitutionnel.

Cet article 9 prévoit que “dans l’hémicycle, l’expression est exclusivement orale. […] L’utilisation, notamment pendant les questions au Gouvernement, à l’appui d’un propos, de graphiques, de pancartes, de documents, d’objets ou instruments divers est interdite,” ce qui inclut les drapeaux.

Une sanction “sur la base des deux textes (article 70 du RAN ou article 9 de l’Instruction générale) était possible” précise Sophie de Cacqueray, mais “le RAN est juridiquement supérieur”. Surtout, “il est incontestable, car contrôlé par le juge constitutionnel”, alors que “le juge constitutionnel n’a pas de contrôle sur l’Instruction générale du Bureau”.

Si le RAN est contrôlé par le Conseil constitutionnel, ce contrôle ne s’opère qu’à la phase d’adoption du règlement. C’est-à-dire que “si l’assemblée veut modifier son règlement, elle doit soumettre cette modification au Conseil constitutionnel.” Mais une fois le texte adopté, “il n’y a plus de possibilité de saisir un juge administratif, au nom du respect de la séparation des pouvoirs”.

Deux poids, deux mesures ?

Mais comment faire quand, justement, un député n’est pas d’accord avec la décision du Bureau de l’Assemblée nationale ? “Il n’y a pas d’appel possible, donc pas de contrôle sur la proportionnalité de la sanction et cela pose un vrai problème” admet Jean-Paul Markus.

Dès lors, la seule voie de recours, c’est la saisine la Cour européenne des droits de l’homme. Une procédure d’ailleurs engagée par le député Sébastien Delogu.

Car même au sein d’autres partis politiques, on juge parfois la sanction contre le député insoumis “trop sévère”.  Certains soulèvent la disproportion entre cette peine et d’autres, moins lourdes, prononcées pour des cas considérés comme autant, voire plus graves.

À noter que ce n’est pas la première sanction prise contre le député Sébastien Delogu, qui avait déjà été sanctionné trois fois en deux ans. Cela a pu justifier une sanction plus lourde. Sophie de Cacqueray ajoute que nous sommes ici comme face au juge dans un procès : “Face à deux faits qu’on considère comme identiques, il peut y avoir des réponses disciplinaires différentes, mais ce sont les appréciations qui relèvent du Bureau” qui in fine décide de la gravité de la sanction.

Reste donc à savoir si cette sanction sera retoquée par la Cour européenne des droits de l’homme. D’ici là, l’Assemblée nationale, dissoute par Emmanuel Macron, aura changé de composition, et connaitra peut-être une nouvelle explosion du nombre de sanctions à l’encontre des députés.

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