Fabien Roussel (PCF) prétend que “si on levait mondialement les brevets, on pourrait produire [des vaccins] partout !”
Dernière modification : 22 juin 2022
Auteur : Bastien Savin, master propriété intellectuelle, Université Jean Moulin Lyon 3
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit, Université Paris-Saclay
Source : Le Point, 19 avril 2021
La loi française ne permet pas de “levée des brevets” comme le demande Fabien Roussel mais dans l’intérêt de la santé publique il est possible d’octroyer des licences d’office. C’est simplement l’obligation pour les laboratoires inventeurs du vaccin de céder une licence d’exploitation à d’autres laboratoires (par exemple Sanofi), moyennant rémunération.
Fabien Roussel, candidat à l’élection présidentielle du Parti Communiste Français (PCF), a répondu à une interview du journal Le Point dans laquelle il dénonce la gestion de la crise sanitaire. D’après lui, c’est la propriété intellectuelle des vaccins laissée aux laboratoires pharmaceutiques qui entraîne une pénurie mondiale. Visiblement Fabien Roussel n’a pas lu l’article des Surligneurs sur la levée des brevets car sa proposition est impossible… à moins qu’il confonde avec la licence d’office.
L’État dispose en effet de certains instruments permettant de contraindre les titulaires de brevets à autoriser l’exploitation de leur invention en cas de besoin impérieux : besoin de santé publique, intérêt de l’économie ou de la défense nationale. Mais il y a ici une confusion.
Sans brevets, pas de vaccins
Le brevet permet à celui qui l’a déposé (le titulaire : Pfizer, Astra-Zeneca, etc.) d’obtenir un monopole d’exploitation sur son invention. Concrètement, les groupes pharmaceutiques titulaires de brevets sur les vaccins contre le Covid-19 sont les seuls à pouvoir les produire ou exploiter, et peuvent attaquer en contrefaçon toute personne fabriquant ou commercialisant le vaccin sans leur accord. Les titulaires de brevets peuvent aussi accorder des licences d’exploitation à d’autres personnes, moyennant rémunération (qu’on appelle “redevance”), mais rien ne les y oblige, ils sont libres de garder leur monopole sur leur invention.
En temps normal, le brevet protège l’inventeur et lui permet de rentabiliser ses investissements. Le brevet favorise donc l’innovation. Sans cette protection légale, on attendrait toujours le vaccin contre le Covid-19. Mais lorsque sont en jeu des questions de santé publique, cette appropriation peut ainsi paraître injuste, voire problématique. Pour remédier à cette éventuelle contradiction entre intérêts public et privé, la loi met en place un système de licence d’office.
La licence d’office n’est pas une “levée” de brevet
Ce mécanisme de licence d’office permet à l’autorité d’obliger les titulaires de brevet à céder une licence d’exploitation, afin de satisfaire un besoin général. Mais, la licence d’office n’est pas une “suppression” du brevet, encore moins une confiscation ou une nationalisation du brevet. C’est une licence d’exploitation en échange d’une redevance, mais imposée par l’autorité.
Dans notre cas particulier, il s’agit d’une licence d’office imposée dans l’intérêt de la santé publique (art. L. 613-16 du Code de la propriété intellectuelle). Ainsi, le ministre chargé de la propriété industrielle peut, sur la demande du ministre chargé de la santé publique, placer le brevet sur les vaccins sous ce régime. Pour autant, il ne peut pas tout faire.
La licence d’office, oui, mais sous conditions…
D’abord, la licence d’office est soumise à conditions : il faut une pénurie ou des prix anormalement élevés, un constat de manœuvres anticoncurrentielles par le titulaire du brevet, ou encore que le brevet soit exploité dans des conditions contraires à l’intérêt de la santé publique. Ensuite, avant d’ouvrir le régime de la licence d’office, le ministre est tenu de rechercher un accord amiable avec le titulaire. Après quoi, le ministre attribue la licence d’office à une entreprise volontaire, capable de produire le vaccin (par exemple Sanofi). Tout cela prend du temps.
Enfin, la “levée des brevets”, qui consisterait à déchoir le titulaire de ses droits sur le brevet, sans contrepartie, n’existe pas en droit français. A moins qu’il veuille modifier la loi. Contacté, Fabien Roussel n’a pas souhaité répondre à nos questions.
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