Fabien Gay (sénateur PCF) appelle à “reconstruire un grand service public de l’énergie” avec ENGIE, EDF et Total Energies
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay
Relecteur : Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public à l’Université de Poitiers
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle
Source : Compte X du groupe CRCE au Sénat, 3 avril 2024
Nationaliser Engie et Total Energies coûterait au minimum 190 milliards d’euros. Or la Constitution (article 40) interdit les propositions de loi créant ou aggravant une charge publique.
Le sénateur PC Fabien Gay, s’exprimant à la tribune du Sénat, a annoncé qu’il allait déposer avec son groupe une “grande proposition de loi” destinée à “reconstruire un grand service public de l’énergie” avec ENGIE, EDF et Total Energies. Il s’agira donc de “renationaliser ces trois entreprises” et les fusionner en un “Groupe Energie de France” (GEDF), qui répondrait aux besoins énergétiques de la France tout en décarbonant ce secteur et en permettant de “sortir 12 millions de personnes de la précarité énergétique“.
Une telle proposition se heurtera à un obstacle majeur : son coût. En effet, l’article 40 de la Constitution rend irrecevables les propositions de loi et amendements qui consistent en une “création ou aggravation d’une charge publique“.
Le coût de la mesure et ses conséquences au regard de la Constitution
Les Surligneurs n’ont pas vocation à apprécier la pertinence financière d’une proposition. Toutefois, l’évaluation du coût d’une proposition de loi est essentielle car elle a des incidences sur sa conformité à la Constitution. Ainsi, en s’en tenant aux sources internet ouvertes, renationaliser EDF, Engie et Total Energies aura un coût. EDF appartient déjà à 100 % à l’Etat. Ce groupe est donc déjà une entreprise nationale. Engie, en revanche, n’appartient que pour 23.64 % de son capital à l’Etat. Le reste est partagé entre certains investisseurs publics comme la Caisse des dépôts et consignations (3.63 %) et des investisseurs privés, qu’il s’agisse des actionnaires individuels épargnants, des salariés, ou encore du fonds d’investissement Black Rock (5,01 %). Total Energies enfin, présente un actionnariat plus diversifié encore, puisque seuls 26,7 % du capital appartient à des actionnaires basés en France et que l’Etat n’en est plus actionnaire.
Renationaliser Engie et Total Energies supposera donc de racheter l’ensemble des actions aux actionnaires actuels, à travers une loi de nationalisation, comme cela avait été fait par exemple pour d’autres entreprises privées sous François Mitterrand en 1981.
S’agissant de Total Energies, sa capitalisation boursière est d’à peu près 161 milliards d’euros selon Google Finance. La capitalisation boursière d’Engie est de 37.5 milliards, dont l’Etat détient déjà à peu près 8.8 milliards selon la même source. Autant de milliards – 190, déduction faite des actions dont l’Etat est déjà détenteur dans la capital d’Engie – qu’il faudra débourser pour indemniser les actuels détenteurs des actions de ces entreprises.
Irrecevabilité pour “création ou aggravation d’une charge publique“
Parce qu’elle crée ou aggrave une charge publique au sens de l’article 40 de la Constitution, cette proposition ne sera jamais débattue : elle devra être considérée comme irrecevable (Conseil constitutionnel, 25 juin 2009). Devant le Sénat, “le président de la commission des finances contrôle la recevabilité au regard de l’article 40 de la Constitution (…) des amendements déposés en vue de la séance publique. Les amendements déclarés irrecevables ne sont pas mis en distribution” (article 45 du Règlement du Sénat).
Et si jamais la proposition de loi passait ce premier filtre et arrivait même devant l’Assemblée nationale, il existe d’autres filtres, “à tout moment de la procédure” selon l’article 89 alinéa 4 du Règlement de l’Assemblée nationale.
Inutile de chercher à compenser
L’article 40 de la Constitution ne permet pas aux parlementaires de compenser la création ou l’aggravation d’une charge publique par une ressource publique, contrairement au cas où une proposition de loi se limite à diminuer une ressource en en augmentant une autre (par exemple diminuer l’impôt sur le revenu en augmentant la TVA). D’autant que les recettes de près de 190 milliards ne se trouvent pas sous le sabot d’un cheval. C’est un peu moins de ce qu’a rapporté la TVA en 2022.
Une solution pourrait consister à créer une entité séparée de l’Etat, destinée à absorber cette dépense sans qu’elle apparaisse dans le budget. On appelle cela de la “débudgétisation”, et ce ne serait pas la première fois que l’Etat emploie cette méthode : cela fut le cas en 1997 pour faire absorber la dette de la SNCF par le Réseau ferré de France (RFF) nouvellement créé et éviter à l’Etat d’avoir à éponger cette dette sur son propre budget. La même méthode fut mobilisée pour l’ex-Crédit Lyonnais (devenu LCL) lorsqu’il s’est trouvé en quasi-faillite en 1996. Encore faudra-t-il que le Conseil constitutionnel valide un tel subterfuge, mais il ne s’y est jamais opposé jusqu’à présent, et les exemples sont nombreux.
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