Extradition du défenseur des baleines Paul Watson : quel est le cadre juridique ?
Autrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Relecteur.rice : Lili Pillot, journaliste et Vincent Couronne, docteur en droit public, chercheur associé au laboratoire VIP, Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste
Paul Watson, fondateur de Sea Shepherd, est en détention provisoire depuis fin juillet au Groenland. Recherché par le Japon contre lequel il se bat pour leurs pratiques de chasse à la baleine, il devait voir sa demande d’extradition, vers le pays du Soleil-Levant, être examinée ce 4 septembre, avant que cela ne soit reporté au 2 octobre prochain.
Paul Watson va-t-il devoir se rendre au Japon ? Ce 4 septembre, le tribunal du Nuuk (Groenland) devait trancher sur la demande d’extradition qui a été faite par le pays du Soleil-Levant. Finalement, sa détention a été prolongée jusqu’au 2 octobre, en attendant que le ministère de la Justice danois examine ladite demande.
Le 21 juillet, Paul Watson, président de la Captain Paul Watson Foundation (CPWF) a été arrêté au Groenland, au Danemark, alors qu’un mandat d’arrêt international avait été émis contre lui à la demande du Japon. Alors qu’il risque une lourde peine au Japon, la question de la qualification de ses actes en infraction politique est au cœur des débats sur l’extradition.
Chasse à la baleine : entre interdiction et tradition
Les faits qui sont reprochés à celui qui a cofondé Greenpeace puis Sea Shepherd datent de 2010. Paul Watson est accusé d’avoir blessé une personne travaillant sur un navire japonais chassant la baleine, alors même que lui et son équipage de Sea Shepherd traquaient les baleiniers en pleine mer.
Pour le contexte, la chasse à la baleine est réglementée à l’international depuis 1946, et fait l’objet depuis 1986 d’un moratoire international pour des raisons commerciales. Pourtant, le Japon a continué de la pratiquer pendant une trentaine d’années en utilisant un argument de poids : selon eux, à des fins scientifiques. Une faille juridique qui a été dénoncée à de nombreuses reprises par Sea Shepherd puis la CPWF et condamnée par la Cour internationale de justice en 2014. Depuis 2019, le Japon a quitté la Commission baleinière internationale et assume désormais sa position pro-chasse, qu’elle estime traditionnelle sur l’île.
Concernant les faits qui sont reprochés à Paul Watson, le Japon a émis un mandat d’arrêt international contre Paul Watson en 2012, relayé par Interpol via ses fameuses notices rouges (qui sont des alertes et non des mandats d’arrêt). C’est sur cette base que le Groenland a pu l’arrêter le 21 juillet 2024, avant de prononcer son maintien en détention jusqu’au 5 septembre, le temps que la justice statue sur la demande d’extradition qui a été émise par le Japon le 1ᵉʳ août, selon le ministre de la Justice danoise.
Comment fonctionne l’extradition ?
Chaque pays détermine les règles selon lesquelles l’extradition va être réalisée. « Il existe plusieurs procédures », explique Alice Dejean de la Bâtie, maître de conférences en droit pénal et procédure pénale à l’université de Tilburg. « Le principe général est qu’il faut que chaque pays fasse une demande d’extradition auprès de l’État cible. Mais il existe des accords et des conventions qui simplifient et homogénéisent les procédures. »
Par exemple, au sein des pays de l’Union européenne (UE), il existe des mandats d’arrêt européens. Là, plus besoin de demande d’extradition, tout passe de parquet à parquet : tout est intégré à nos systèmes judiciaires européens sans passer par une décision politique.
Hors UE, chaque pays peut convenir de différentes conventions bilatérales avec tout autre pays, mais il existe aussi des conventions multilatérales : entre plusieurs pays. C’est le cas de la convention européenne d’extradition qui est ouverte aux membres hors Union européenne.
Dans le cas de Paul Watson, ces procédures mentionnées plus haut ne s’appliquent pas. Il n’existe aucune convention entre le Japon et le Danemark, mais ce dernier a des règles internes. La loi sur l’extradition danoise encadre cette procédure dans certaines circonstances.
Extradition oui, mais sous certaines conditions
Si elle autorise l’extradition dans certains cas, elle le limite dans d’autres. La question du respect des droits de l’Homme en est un, d’autant que le Danemark est signataire de la Convention européenne des droits de l’homme. C’est ce que devra déterminer le tribunal compétent, explique Laura Monnier, avocate et ancienne responsable juridique pour Greenpeace France. “Le tribunal doit se poser la question de savoir quels sont les risques pour sa vie, quelles seront les conditions de détention, mais aussi est-ce qu’il aura le droit à un procès équitable ?” Il faut dire que les prisons nippones ont la réputation d’offrir des conditions de vie particulièrement inhospitalières.
La loi danoise précise aussi que l’extradition ne s’appliquera pas aux poursuites pour des faits qui ne constituent pas également une infraction au Danemark. La question de la proportionnalité de la peine se pose. Dans une interview à Libération, Paul Watson pointait lui-même du doigt un décalage entre les peines : “La peine serait de 1 500 couronnes (quelque 200 euros), même pas une peine de prison, alors que le Japon veut me condamner à 15 ans.”
Un des points cruciaux demeure dans la question de la qualification de ses actes comme politiques. “Il existe un principe selon lequel les pays n’extradent pas pour des motifs politiques”, développe Alice Dejean de la Bâtie. À titre de comparaison, dans un accord d’entraide judiciaire en matière pénale conclu entre l’Union européenne et le Japon (qui ne concerne pas l’extradition), il est précisé que la demande d’entraide peut être refusée si l’infraction a un caractère politique.
“Toute la difficulté est alors de définir ce qu’est une infraction politique, résume Catherine Le Bris, chercheuse au CNRS et spécialiste de droit international à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Faut-il prendre en compte le but, le contexte ou la nature de l’acte ? L’État a une grande marge d’appréciation pour retenir ou non cette qualification. La France, notamment, est très attachée à ce principe de non-extradition pour des infractions politiques.”
Pour Alice Dejean de la Bâtie qui travaille sur le droit des activistes, ces derniers sont sur une ligne de crête entre une volonté de sortir des infractions du droit commun pour pouvoir bénéficier du statut avantageux d’infraction politique, et la “pente glissante sur la question du terrorisme”.
Dans la jurisprudence, une distinction est faite entre les atteintes aux biens et les atteintes à la personne, selon la maître de conférences. Ce n’est pas un hasard si le Japon accuse Paul Watson au motif qu’il a blessé un marin.
En attendant la prochaine audience, qui a été fixée au 2 octobre prochain, plusieurs associations, personnalités et même États se sont prononcés contre l’extradition du “pirate des mers”. C’est le cas de la France qui assure suivre la situation “de très près, avec la volonté qu’il ne soit pas extradé”.
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