Exportation des vaccins contre le Covid-19 : comment l’Union européenne a-t-elle durci les règles ?
Dernière modification : 22 juin 2022
Autrice : Justine Coopman, rédactrice Europe
Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur au laboratoire VIP, Université Paris-Saclay
La campagne de vaccination pilotée au niveau européen fait l’objet de vives critiques : livraisons trop lentes, nombre de doses disponibles insuffisantes. Ce retard par rapport à certains pays hors Union européenne qui vaccinent plus vite peut s’expliquer pour trois raisons, selon une source à la Commission européenne : l’effet cumulé d’une campagne vaccinale commencée tardivement, des retards de livraison AstraZeneca et les 41 millions de doses exportés vers des pays tiers au détriment de la vaccination des Européens.
Entre AstraZeneca et Bruxelles, la relation est de plus en plus tendue. En cause, des retards de livraison conséquents : seulement 30 des 120 millions de doses promises ont été livrées au premier trimestre et au second trimestre la société affirme ne pouvoir livrer que 70 millions de doses sur les 180 millions promises.
La pression est également palpable entre Londres et Bruxelles. Ce qui pose problème est le fait qu’aucun vaccin produit sur le sol britannique par les deux usines AstraZeneca n’a été livré sur le Vieux Continent malgré le contrat signé par Bruxelles qui prévoit des livraisons en provenance des usines britanniques. Dans l’autre sens, l’Union européenne a exporté 21 millions de doses vers le Royaume-Uni depuis décembre 2020. À ce constat s’ajoute une situation sanitaire qui se dégrade en Europe avec une troisième vague de l’épidémie.
Comme le résume Gabriel Attal, porte-parole du Gouvernement : “on constate que les engagements [d’AstraZeneca] sont tenus dans leur quasi-intégralité dans certains pays, notamment avec la Grande-Bretagne mais pas avec l’Union européenne. C’est une situation qui est totalement inacceptable”.
Face à ces critiques, la Commission européenne, avec les représentants des États membres réunis en comité, ont renforcé le mécanisme de contrôle des exportations de vaccin contre le Covid-19. Ce mécanisme mis en place fin janvier est en principe applicable pour une durée de six semaines.
Un premier mécanisme de contrôle en janvier
Fin janvier 2021, un texte a été adopté par la Commission européenne et les représentants des États membres réunis en comité mettant en place un contrôle sur les exportations de vaccin contre le Covid-19. Il est prévu que chaque exportation fasse l’objet d’une déclaration suivie d’une autorisation. En somme, si l’exportation menace la bonne exécution du contrat d’achat de vaccins, elle peut être bloquée.
C’est ce qui s’est passé pour la première fois en Italie début mars. Avec le feu vert de la Commission, le Gouvernement dirigé par l’ancien président de la Banque centrale européenne Mario Draghi a bloqué l’exportation de 250 000 doses de vaccin AstraZeneca vers l’Australie. L’Italie s’est justifiée par la pénurie persistante de vaccins, les retards d’approvisionnement d’AstraZeneca, et le fait que l’Australie est considérée comme un pays « non vulnérable » par l’Union. À cette période, l’Australie comptait quelques dizaines de cas quotidiens, et l’Italie des dizaines de milliers.
Un durcissement du mécanisme de contrôle en mars
Le renforcement du mécanisme dit “de transparence” en mars part de deux constats. Le premier constat est que l’Union a exporté de grandes quantités de vaccins vers certains pays qui n’en produisent pas, mais dont le taux de vaccination est supérieur ou dont la situation épidémiologique actuelle est moins grave que celle prévalant sur le territoire européen. C’est la raison pour laquelle le principe de proportionnalité a été ajouté comme condition à l’autorisation d’exportation. Cela permettra, sur ce critère, de refuser des exportations de vaccins à des pays dont la situation épidémiologique est bien plus favorable.
Le deuxième constat est que l’Union a envoyé de grandes quantités de vaccins vers des pays qui ont eux-mêmes limité leurs exportations, par la loi ou par d’autres moyens. Le Royaume-Uni est ici implicitement visé, qui n’a exporté aucune dose, et dont les deux tiers de la population vaccinée l’a été grâce à des doses européennes, essentiellement du vaccin Pfizer-BioNTech. C’est la raison pour laquelle un nouveau principe de réciprocité permettra de conditionner l’exportation à la coopération du pays qui doit recevoir les vaccins. Concrètement, si un pays bloque l’exportation de vaccins produits dans ses usines et destinés à l’Union européenne, la Commission pourra à l’avenir bloquer en retour les vaccins produits sur son sol vers ce pays. Le but étant de permettre à la Commission européenne de forcer AstraZeneca à rattraper son retard dans les livraisons à l’Europe avant d’exporter ses doses.
De plus, ce contrôle sur les exportations de vaccins a été étendu à 17 pays auparavant exemptés. Par exemple, sont désormais concernés Israël, la Norvège, la Macédoine du Nord, la Serbie ou encore la Suisse.
Toutefois, certains pays restent exclus de ce contrôle comme le relève Le Figaro, comme la Turquie, l’Égypte, l’Algérie, le Maroc ou l’Ukraine. Il faut aussi préciser que ce mécanisme ne s’applique pas aux exportations du dispositif Covax, qui permet l’envoi de vaccins aux pays les plus pauvres.
Un blocage imminent des exportations de vaccins via ce mécanisme ?
Certains pays comme la France, l’Allemagne ou encore l’Italie sont favorables à une stricte mise en œuvre du contrôle des exportations. D’autres pays tels que la Belgique, les Pays-Bas ou encore le Danemark, sont moins enthousiastes. Ils évoquent le risque d’entrer dans une guerre commerciale dans laquelle chaque pays interdirait les exportations de vaccins ou de composants liés à leur fabrication, ce qui nuirait à l’ensemble des chaînes de production. La position des États membres sur ces contrôles est donc partagée, même s’ils ont réussi à se mettre d’accord avec la position de la Commission européenne.
Si le blocage des exportations de vaccins était activé, les doses ainsi bloquées n’appartiendraient pas à l’Union européenne pour autant : elles retourneraient au laboratoire pharmaceutique, mais chargées d’un signal politique fort. Au laboratoire, ensuite, de décider ce qu’il en fera.
Après le Conseil européen – la réunion des États membres – du jeudi 25 mars dernier, Ursula Von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a annoncé en conférence de presse qu’AstraZeneca devait « rattraper » son retard avant d’exporter en dehors de l’Union. Cet avertissement sous-entend que le groupe devra trouver des solutions pour honorer son contrat d’achat de doses de vaccin conclu avec l’Union, sans quoi ses exportations seraient bloquées.
Quant à la relation avec Londres, elle semble s’améliorer selon le Premier ministre néerlandais Mark Rutte, mais les deux parties ne sont toujours pas parvenues à un accord sur l’approvisionnement en vaccins.
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