Crédits photo : Anh De France, CC 2.0

Éric Zemmour souhaite mettre en place une « présomption de légitime défense » pour les policiers

Création : 2 avril 2024

Autrice : Sasha Morsli Gauthier, journaliste

Relecteurs : Jean-Baptiste Thierry, professeur de droit pénal, Université de Lorraine

Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle

Source : France Info, 19 mars 2024

La présomption de légitime défense pourrait entraîner erreur d’interprétation de la part des forces de l’ordre tentées de croire en leur impunité. Or c’est faux : même présumée, la légitime défense n’est pas acquise, et les victimes peuvent prouver le contraire. Il n’est donc pas sûr du tout que cette réforme diminuerait le nombre de procès.

Le 17 mars dernier, le commissariat de la Courneuve (Seine-Saint-Denis) était attaqué par une cinquantaine d’individus. Cet événement faisait suite à la mort de Wanys R., jeune homme de 18 ans percuté par un véhicule de police à la suite d’un refus d’obtempérer.

Interrogé ce mardi 19 mars dans l’émission « Les 4 Vérités » sur France 2, Éric Zemmour s’est exprimé en réaction aux événements. Le président du parti Reconquête! a proposé plusieurs mesures en matière pénale sur le sujet. Parmi elles, introduire une « présomption de légitime défense » pour les policiers.

Les policiers sont déjà couverts par la légitime défense, comme tout le monde…

En droit français, la légitime défense peut être présumée dans deux cas précis : soit « pour repousser, de nuit, l’entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité », soit « pour se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence » (article 122-6 du code pénal).

Les infractions qui seraient commises par les forces de l’ordre peuvent déjà être justifiées par la légitime défense à laquelle tout un chacun a droit. En effet, un policier ne peut pas être considéré comme pénalement responsable lorsqu’il « accomplit un acte commandé par la nécessité de la légitime défense » (article 122-5 du code pénal).

Cependant, il est nécessaire que « les moyens employés [pour se défendre soient] proportionnés à la gravité de l’infraction. » Ces critères de nécessité, de légitimité, du caractère immédiat, et de proportionnalité de l’acte de défense s’appliquent également à l’usage de leurs armes par les policiers (article L435-1 du Code de la sécurité intérieure)

… Mais ils doivent prouver qu’ils étaient en légitime défense

Or tous ces critères de la légitime défense ne sont en l’état du droit pas présumés : c’est à celui qui se défend de prouver, devant le juge, non seulement qu’il se défend, mais qu’il a usé pour cela d’une force proportionnée. Ce que souhaite Éric Zemmour, c’est qu’un policier qui use de la force soit automatiquement considéré comme en légitime défense, et qu’il appartienne donc à la victime de prouver qu’il n’y avait pas légitime défense ou que la force employée était disproportionnée. Or, introduire une telle présomption de légitime défense pour les agents de la police nationale soulèverait plusieurs problèmes.

Le premier problème tiendrait dans l’interprétation que les policiers feraient d’une légitime défense présumée : cela pourrait entraîner des abus ou des excès de leur part, se croyant à l’abri d’une justification automatique de leurs actions, sans évaluation minutieuse des circonstances spécifiques comme c’est prévu par la loi.

Le second problème est que la législation actuelle et son application octroient déjà un régime dérogatoire aux policiers : dans les cas d’actes violents commis dans l’exercice de leurs fonctions, la justice se montre particulièrement indulgente envers les forces de l’ordre. Différencier davantage l’application du principe de légitime défense devant la loi pourrait alors alimenter un sentiment d’impunité et d’injustice déjà présent dans la société civile.

Troisième problème, le fait que la légitime défense doit être prouvée permet un contrôle a posteriori de la légalité de l’acte, et donc de sanctionner les éventuels abus. Instaurer une présomption complexifierait l’établissement de la responsabilité des agents impliqués dans des incidents controversés.

Enfin, créer une présomption de légitime défense ne signifierait pas que celle-ci prévaudrait dans tous les cas : toute présomption peut en principe être renversée (on dit qu’elle n’est pas « irréfragable »), ce qui signifie que la victime pourra toujours prouver que les critères de la légitime défense n’étaient pas réunis. Dans ces conditions, il n’est pas certain que la présomption réduirait le nombre de procès contre des policiers.

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