Emmanuel Macron souhaite « donner la priorité au local » dans la commande publique
Dernière modification : 24 juin 2022
Auteur : Guillaume Heim, master droit public de l’économie, Université Paris-Panthéon-Assas
Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur au centre de recherche VIP, Université Paris-Saclay
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Héreng Loïc et Yeni Daimallah
Source : Programme “Emmanuel Macron Avec Vous”, page 17
Sauf à traduire “local” par “européen”, le droit européen et le droit français de la commande publique interdisent de privilégier les entreprises françaises pour favoriser l’innovation et le développement du tissu local. Seule exception : donner indirectement la priorité au local pour des raisons environnementales ou sociales.
Emmanuel Macron, candidat finaliste à l’élection présidentielle de 2022, souhaite « réviser la politique d’achat de l’État : l’objectif prioritaire sera d’acheter local, plutôt que d’acheter toujours moins cher, pour développer l’innovation et les filières françaises ». La commande publique deviendrait un outil de soutien au tissu industriel local français. Or, aussi bien le droit de l’Union européenne que le principe constitutionnel d’égalité sont incompatibles avec la notion de préférence nationale dans la commande publique.
Le droit européen et la Constitution interdisent de donner la priorité au local dans la commande publique
Le droit de l’Union européenne, qui prohibe toute « discrimination exercée en raison de la nationalité« , interdit d’instaurer une politique de préférence nationale en matière économique. Par conséquent, la Cour de justice de l’Union européenne interdit les mesures nationales qui réservent l’attribution de marchés publics aux entreprises qui disposent d’une implantation locale. Par exemple, la justice européenne avait jugé en 2017 qu’un hôpital public, qui lançait un appel d’offres pour se fournir en médicaments, ne pouvait imposer que l’approvisionnement soit exclusivement d’origine nationale. Cette règle vaut pour l’État mais aussi pour les collectivités territoriales.
De même, l’égalité de traitement entre les entreprises et la liberté d’accès aux marchés publics sont des principes fondamentaux de la commande publique, à valeur constitutionnelle comme l’a jugé le Conseil constitutionnel. Selon lui, ces règles découlent de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, un texte qui a la même valeur que la Constitution. Une commune qui choisirait un prestataire pour un motif strictement géographique verrait donc son marché annulé par les tribunaux. Le maire qui aurait détourné une procédure de marché public pour favoriser une entreprise locale pourrait même voir sa responsabilité engagée sur le plan pénal : il s’agit d’un cas de délit de favoritisme.
Le local peut être pris en compte, mais seulement pour des raisons environnementales ou sociales
S’il n’est pas possible de faire de la présence locale un critère d’attribution des marchés publics, il est en revanche possible de prévoir des mesures indirectes compatibles avec le droit européen. Plusieurs lois récentes vont dans ce sens. Par exemple, la loi ASAP, adoptée en 2020, réserve une partie de certains grands marchés publics aux TPE-PME : de fait, les TPE-PME qui sont dans un autre État membre de l’Union européenne, voire étrangères, n’auront pas toujours les moyens de présenter une candidature en France, ce qui favorise indirectement les PME nationales et locales.
De même, la loi Climat renforce la place des critères liés à l’environnement dans la commande publique (par exemple les circuits courts ou la réduction des transports) ce qui peut permettre de favoriser des entreprises locales ou des entreprises de l’économie sociale et solidaire. En privilégiant les entreprises de l’économie circulaire ou une gestion responsable des déchets, tel que l’autorisent le Code de la commande publique et le Code de l’environnement, l’acheteur public peut, parfois, indirectement favoriser des entreprises locales, sans que la localité ne soit un critère « en soi », et surtout sans poser de critère de nationalité.
À noter enfin, le droit européen autorise déjà un acheteur public à privilégier les entreprises européennes par rapport à des entreprises extra-européennes, dans le but de protéger l’environnement ou pour des considérations sociales.
Si une loi prévoyait de réserver la commande publique aux entreprises locales, elle serait censurée par le Conseil constitutionnel ou contestée par les juges européens, comme nous l’évoquions déjà pour la proposition d’Éric Zemmour.
Et si, plus subtilement, le ministère de l’Économie publiait un « guide » incitant les acheteurs publics à donner la priorité aux entreprises locales ? En l’occurrence, même s’il ne s’agit pas de droit « dur », le juge pourrait considérer que ce guide est suffisamment impératif pour avoir des effets discriminatoires à l’encontre des entreprises qui ne sont pas françaises. Finalement, le guide pourrait être censuré comme une loi ou un règlement.
Contactée, l’équipe d’Emmanuel Macron n’a pas répondu à nos sollicitations.
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