Émeutes après la mort de Nahel M. : retour sur une semaine de désinformation
Dernière modification : 19 juillet 2023
Autrice : Clotilde Jégousse, journaliste
Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay
Chiffres erronés, partage de vidéos sorties de leur contexte, d’images tirées de films ou de fausses lettres… la mort du jeune Nahel M. et les émeutes qu’elle a déclenchées ont une nouvelle fois mis au jour l’usage des réseaux sociaux en matière de désinformation.
Tout est parti d’une vidéo, sans laquelle la France et le monde n’auraient sans doute jamais rien su du possible refus d’obtempérer d’un jeune Nanterrien de 17 ans. Le 27 juin dernier, à peine quelques heures après le contrôle routier qui a conduit à la mort de Nahel M., les réseaux sociaux tournaient déjà en boucle sur les évènements. De quoi donner du travail aux fact-checkers, qui sont à pied d’œuvre depuis deux semaines pour contrer les fausses informations, diffusées en masse sur les plateformes, notamment par des comptes étrangers. Les Surligneurs ont répertorié les plus partagées d’entre elles, vérifiées par des journalistes dont le travail est la plupart du temps certifié par le Code des principes de l’International Fact-Checking Network, comme c’est le cas des Surligneurs.
Manipulations et fantasmes autour des émeutes
Depuis le 27 juin et la mort de l’adolescent, d’importantes dégradations ont été constatées un peu partout en France : 1105 bâtiments ont été incendiés ou dégradés, 269 attaques de commissariats, brigades de gendarmerie et postes de police municipale ont été recensées, une soixantaine d’établissements scolaires ont été sérieusement endommagés, 80 bureaux de postes ont été fermés, une quarantaine de transports publics ont été brûlés, et près de 4 000 personnes interpellées selon Le Point.
Néanmoins, il n’existe pas à ce jour d’images véridiques et vérifiées d’un policier ensanglanté et recroquevillé sur le bitume. Celles qui ont circulé sur Twitter depuis le 28 juin, censées avoir été prises pendant les émeutes, sont en fait issues d’un clip du rappeur Bakhaw, qui vient d’être tourné en Seine Saint Denis, et dans lequel le comédien Raphaël Sergio y joue le rôle du policier, selon la cellule CheckNews de Libération. Il n’existe pas non plus d’images d’un homme posté en sniper sur le toit d’un immeuble pendant les émeutes. La vidéo qui a été partagée le 30 juin dernier et vue plus d’un million de fois sur Twitter est en fait un “recyclage” d’une vidéo dont CheckNews a tracé la première diffusion au … 13 mars 2022. Elle n’a donc rien à voir avec les événements survenus après la mort de Nahel. Ni d’images d’un hélicoptère de la police piloté par les émeutiers, comme le montre une vidéo TikTok vue près de 5 millions de fois, et dans laquelle on peut entendre « Wallah [je le jure devant dieu], on a volé un hélico les mecs ! ». La cellule Vrai ou Fake de FranceInfo explique que la voix a été ajoutée à une vidéo de la gendarmerie nationale publiée le 30 juin dernier. Celle-ci montrait le survol par les autorités des villes de Cannes et de Nice dans la nuit du 29 au 30 juin.
Aucune voiture n’est tombée d’un immeuble ces derniers jours, comme semble pourtant le montrer une vidéo postée par un compte anglophone largement relayée sur Twitter. Il s’agit d’images du tournage du film Fast and Furious 8, qui avaient déjà fait leur apparition sur la toile en 2016, toujours selon la cellule Vrai ou Fake de FranceInfo.
La vidéo partagée le 2 juillet sur Twitter par Paul Golding, chef du parti britannique d’extrême droite Britain First, censée montrer des “émeutiers montrant leur arsenal d’armes en France”, ne correspond pas non plus à la réalité. Les images, vues plus d’un million de fois, montrent en fait un attroupement survenu à Dijon en juin 2020, dans un contexte d’affrontements avec des membres de la communauté tchétchène, selon Les Observateurs de France24. Tout comme la vidéo censée montrer un parking qui brûle à Marseille (100 000 vues), et qui correspond en fait à un feu survenu en avril dernier en Australie. Même chose pour les images de cette femme qui tente de remplir rapidement son caddie dans un supermarché, accompagnées du commentaire : « Que voulez-vous qu’elles aillent dire à leurs gosses, elles font pareil !! », posté par un compte qui s’identifie comme “pro Eric Zemmour”. Celles-ci ont été tournées au Brésil, et montrent un jeu chronométré, dont le but est de faire ses courses le plus rapidement possible, selon Les Observateurs qui ont retrouvé l’origine de la vidéo.
Enfin, l’ancien policier et acteur Olivier Marchal n’a pas écrit de lettre pour critiquer son confrère Omar Sy, qui a exprimé son soutien à la famille de Nahel. Celle qui a été largement diffusée sur Twitter le 30 juin, et qui reproche à ce dernier de “cracher médiatiquement sans risque sur la police française”, alors que « le flic français, qui risque sa vie (pas en film), gagne en une année ce que [lui reçoit] en 30 secondes d’acteur », est une fausse, selon les journalistes de la plateforme “Vrai ou Fake” de FranceInfo. Elle avait déjà circulé une première fois en novembre 2020, après qu’Olivier Marchal ait déclaré en avoir “marre des espèces d’acteurs de deuxième zone qui continuent à chier sur les flics alors que ce sont des gens qui vivent dans des quartiers privilégiés », au moment de la mort de l’américain George Floyd, tué lors d’un contrôle de police aux États-Unis. Ses avocats ont engagé des poursuites à l’encontre des usurpateurs, selon Le Figaro (un média qui n’est pas signataire du Code international du fact-checking).
Désinformation sur l’action de l’État
La gestion des évènements par l’État et la justice a aussi fait l’objet de désinformation. Plusieurs internautes ont par exemple affirmé sur Twitter que l’ambulancier apparu dans une vidéo devenue virale en train de hurler sur un policier “Tu vas plus vivre tranquille, frère, tu vas plus vivre tranquille, frère” suite à la mort de Nahel, avait été condamné à “18 mois de prison dont 12 avec sursis”. Une affirmation contredite par la cellule Check News de Libération, qui a précisé que, s’il avait été reconnu coupable d’outrage à personne dépositaire de l’autorité publique, il a été “dispensé de peine, le tribunal ayant ‘pris en compte le contexte dans lequel ces mots ont été prononcés’”.
Des vidéos censées témoigner du déploiement de l’armée dans certains quartiers pour faire face aux émeutes ont également été diffusées sur le même réseau social. Les véhicules militaires filmés auraient en fait été déployés en préparation du défilé militaire du 14 juillet, selon des informations du gouverneur militaire de Paris et une déclaration du général Dominique Trinquand aux Observateurs de France 24. La chaîne a d’ailleurs retrouvé des images des mêmes camions, déployés à la même époque de l’année, diffusées en 2019.
Enfin, un document prétendument signé de la direction générale de la police nationale est apparu samedi dernier, indiquant que des mesures avaient été prises pour restreindre l’accès à internet et aux réseaux sociaux pendant les heures nocturnes dans certains quartiers. Il a été rapidement identifié par le Ministère de l’Intérieur comme étant un faux, selon les vérificateurs de TFI.
Le gouvernement et la presse aussi
La diffusion de fausses informations n’a pas été l’apanage des complotistes et des réseaux sociaux. Celles-ci se sont aussi propagées par voie conventionnelle.
Quelques heures après la mort du jeune homme, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a affirmé à l’Assemblée nationale que le nombre de tirs effectués par des policiers et celui des personnes mortellement touchées par ces tirs avait diminué depuis 2017 : date de l’adoption d’une loi qui a étendu les conditions d’utilisation par un fonctionnaire de police de son arme à feu. Une information contestée par Le Monde. Le quotidien explique qu’en réalité, le nombre n’est en baisse que par rapport au pic qu’il a connu après l’adoption de la loi de 2017, mais est bien supérieur à ce qu’il était avant l’adoption de la loi.
Une information non vérifiée semble également avoir été propagée sur le plateau de Télématin, lundi 3 juillet, selon Arrêt sur images (qui n’est pas signataire du Code international du fact-checking). Un journaliste de France 2 y a expliqué que l’IGPN avait “beaucoup progressé sur l’analyse de la vidéo du tir” du policier qui a coûté la vie au jeune Nahel, et dans laquelle les mots prononcés par ce dernier et son collègue sont peu audibles. Si les passagers de la voiture et l’avocat de la famille de Nahel entendent les mots “shoote-le!” et ce qui s’apparenterait à “je vais te mettre une balle dans la tête”, les policiers ont une version très différente : ils nient avoir prononcé le mot “shoote” et affirment à avoir dit “plutôt une phrase comme ‘mets tes mains derrière la tête’”, selon l’Obs. Selon le journaliste de France 2, l’IGPN en ferait la même interprétation. “Elle entend les policiers demander à Nahel à plusieurs reprises ‘Coupe!’, sous-entendu ‘Coupe le moteur’, et ‘mets tes mains derrière la tête’. Ce n’est pas une menace mais plutôt une sommation”, a-t-il expliqué, selon Arrêt sur images. L’extrait, posté sur le compte Twitter de l’émission, a totalisé plus de 6 millions de vues.
Pourtant, “aucune analyse audio n’a été réalisée”, selon les propos de l’avocat de la famille à la rédaction d’Arrêt sur images. Le journaliste aurait donc relayé la version d’une partie à l’affaire, et non les conclusions tirées par la police des polices. Rebelote au JT de 20 heures de France 2 ce jour-là : la même version est utilisée pour sous-titrer des images diffusées en direct. À ce jour, la chaîne a présenté ses excuses et supprimé le replay. Le Monde a plus tard eu accès au réquisitoire du parquet général de Versailles, saisi de l’enquête, qui analyse la vidéo dans un sens plus défavorable à la version des policiers.
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