Élections américaines : attention à ces marchés de prédiction présentés comme plus fiables que les sondages

Création : 5 novembre 2024

Autrice : Clara Robert-Motta & Lili Pillot, journalistes

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Clara Robert-Motta, journaliste

Source : Post Facebook

Pendant cette campagne, les marchés de prédiction basés sur des cryptomonnaies ont gagné en réputation mais leur pratique pour prédire le dénouement d’une élection est controversée.

“Les chances de victoire de Trump sont 22% supérieures à celles de Kamala”, assure une publication sur les réseaux sociaux. Le graphique qui y est partagé montre deux courbes, l’une bleue représentant la démocrate Kamala Harris, l’autre rouge représentant le républicain Donald Trump, et ressemble à s’y méprendre aux sondages les plus classiques. Sauf que ce graphique ne provient pas d’un institut de sondage, mais d’un site de marché de prédiction, aussi appelé marché de pari (“betting market”).

Trump prend le large sur Kamala Harris”, commentent des internautes en partageant depuis des semaines des captures d’écran de ces courbes. Pourtant, elles ne sont pas du tout en adéquation avec celles des instituts de sondage. 

Depuis début octobre, les marchés de prédiction, comme Polymarket et Kalshi, donnent majoritairement Donald Trump gagnant – parfois avec une large avance – tandis que les sondages traditionnels donnent majoritairement Kamala Harris gagnante de peu depuis début août, bien que l’écart se resserre.

Sans surprise, les camps favorisés par l’une ou l’autre de ces procédés sont bien plus enclins à en vanter les mérites. Mais qu’en est-il vraiment ? Ces marchés de prédiction sont-ils plus fiables que les sondages ? 

Des marchés basés sur des cryptomonnaies

Les marchés de prédiction sont des plateformes sur lesquelles les individus peuvent s’échanger des paris sur des évènements. En clair, si l’on prend l’exemple des élections américaines : un individu qui pense que Donald Trump va gagner peut acheter un pari correspondant à “Donald Trump va gagner”, comme si c’était une action. Le prix de cette dernière, compris entre 0 et 1$, fluctue selon le nombre d’achats et de ventes correspondant à cet évènement, mais aussi des achats et ventes correspondant à son opposé (“Kamala Harris va gagner”).

Autre point d’importance : la plupart des marchés de prédiction, comme le plus connu Polymarket, fonctionnent avec des cryptomonnaies. Polymarket utilise l’USD coin, une cryptomonnaie stable indexée sur le dollar américain. L’avantage pour la plateforme est multiple selon Pavel Řežábek, économiste et auteur d’une thèse sur Polymarket :  “ Elle assure un anonymat aux parieurs, la robustesse de la plateforme et la capacité à faire des échanges rapides à moindres frais”.

Un désamour du public pour les instituts de sondages 

Ces plateformes sont aussi vues par certains comme une façon plus fiable que les sondages pour déterminer l’issue d’une élection. Il faut dire que les instituts de sondage ne jouissent pas toujours d’une bonne réputation. En 2020, ils s’étaient trompés de presque quatre points dans leurs résultats. 

Si les explications avancées sont multiples (les électeurs de Trump auraient moins admis voter pour lui, peu de personnes – moins de 1% des gens – répondent désormais aux sondages téléphoniques, etc.), la conséquence n’en est pas moins une confiance minée dans les instituts de sondages. 

C’est donc ce vide que les marchés de paris combleraient. L’économiste Pavel Řežábek estime que ce marché peut être plus efficace. “La croyance selon laquelle les marchés reflètent correctement toutes les informations disponibles est appelée l’hypothèse de l’efficience des marchés (EMH). Selon cette hypothèse, si les marchés ne reflètent pas systématiquement certains éléments d’information, quelqu’un peut commencer à les exploiter dans ses transactions (dans ce cas, les paris), ce qui conduira les marchés à incorporer cette information omise.

En clair, l’incitation financière amènerait les individus dans leur ensemble à être le plus honnêtes possible quand ils parieront. Ou, comme l’a dit Elon Musk sur X, les marchés prédictifs sont “plus précis que les sondages, car il y a du vrai argent en jeu”

Même si les instituts de sondages sont, eux aussi parfois, accusés de ne pas être représentatifs, les marchés de prédiction comme Polymarket sont pointés du doigt pour les types de parieurs qui participent. Le profil des personnes intéressées par la cryptomonnaie est loin d’être représentatif de la population. À noter que le programme de Donald Trump est particulièrement favorable aux cryptomonnaies. Même si, miser sur la côte d’un candidat ne signifie pas forcément qu’on vote pour ce candidat (surtout qu’il est possible de miser même si on n’est pas Américain).

Influence étrangère (de la France?!) et gros parieurs

Les gros parieurs, eux,  peuvent largement influencer la courbe. C’est le cas d’un parieur qui, à travers quatre comptes, a misé 38 millions de dollars sur la victoire de Donald Trump. Une somme colossale qui a fait grimper la côte du candidat républicain. Suite aux soupçons d’ingérence étrangère, Polymarket a fait une enquête et a découvert qu’une seule personne, un Français, était derrière ces quatre paris. Polymarket a déclaré qu’elle n’avait trouvé aucune preuve de tentative de manipulation du marché mais que le trader aurait pris “une position directionnelle basée sur des opinions personnelles concernant l’élection”.

Des accusations de manipulation ont été proférées à l’encontre des marchés de prédiction. Selon le magazine Fortune, Polymarket aurait fait l’objet d’une activité de “wash trade”. Ce mot compliqué désigne une forme de manipulation de marché durant laquelle un investisseur financier vend et achète des actions pour créer une activité artificielle sur le marché.

Ce soupçon d’influence de l’étranger ou des gros parieurs sur ces marchés pèse lourd. Car si les marchés de prédiction entendent refléter avec plus de précision l’état des ambitions de vote (ce qui n’est pas certain du tout), ce qui est possible, “c’est qu’ils peuvent influer sur le scrutin”, reconnaît l’économiste Pavel Řežábek. 

Alors que les urnes ouvrent ce mardi 5 novembre, les marchés de prédiction sont depuis quelques jours dans une autre dynamique que celles des dernières semaines. L’écart entre Donald Trump et Kamala Harris se restreint, voire s’inverse, selon PredictIt. Aussi alors que le résultat de l’élection n’a jamais été aussi proche, reste à savoir qui des sondages ou des marchés de prédiction auront été les plus précis.

 

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