Didier Raoult : « Nous continuerons à traiter nos patients avec les traitements que nous estimons les plus adaptés en l’état actuel de la science et des connaissances »

Création : 28 mai 2020
Dernière modification : 20 juin 2022

Auteur : Jean-Paul Markus, Professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay

Source : LCI, 26 mai 2020

Les médecins sont libres de prescrire les traitements qu’ils croient les plus adaptés à leurs patients, mais en les informant correctement sur les bénéfices et les risques. Or l’argument consistant à dire que l’étude faite par les collègues est « foireuse » et que lui est « dans la réalité » pourrait être insuffisant face au patient, et éventuellement face à un juge en cas de problème.

Didier Raoult peut tout à fait continuer à administrer l’hydroxychloroquine malgré les avis contraires, il a raison. Mais comment va-t-il désormais persuader ses patients du bien-fondé de son traitement, et surtout convaincra-t-il le juge en cas de problème ?

Lorsqu’un médicament obtient son autorisation de mise sur le marché (« AAM »), c’est en fonction d’une indication donnée (code de la santé publique, article L 5121-8). Cela signifie que ce médicament ne peut pas être prescrit pour une autre maladie que celle indiquée dans l’AMM, en principe. Très souvent cependant, le corps médical se rend compte qu’un médicament indiqué pour une maladie peut avoir un effet bénéfique sur une autre maladie. Il est alors prescrit « hors AMM » : cette pratique est très courante, mais elle suppose un large consensus de la communauté médicale, et de bien informer le patient sur les risques et bénéfices (code de la santé publique, article L 1111-2). Or pour l’hydroxychloroquine, il n’y avait pas consensus et le gouvernement voulait quand même tenter l’expérience dans l’urgence.

Il a donc fallu créer une dérogation spéciale. L’hydroxychloroquine a pu être prescrite hors AMM grâce à la loi créant l’état d’urgence sanitaire du 23 mars 2020 qui autorise « toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés pour l’éradication de la catastrophe sanitaire » (article L3131-15). C’est sur cette base qu’a été pris le décret du 11 mai 2020 autorisant l’hydroxychloroquine (art. 19). À la suite de nouvelles études, le décret du 11 mai a été abrogé par celui du 26 mai. Donc l’hydroxychloroquine ne peut plus être prescrite en vertu de la loi. Mais elle peut toujours être prescrite hors AMM en vertu de la liberté de prescription des médecins, comme le dit très justement le professeur Didier Raoult.

La liberté de prescription des médecins, qui est un principe fondamental du droit de la santé, leur permet effectivement de prescrire le traitement le plus adapté en l’état de la science médicale, même hors AMM. Mais « en l’état des connaissances médicales », comme dit le code de la santé publique et comme le rappelle le Pr Raoult, et « compte tenu des données acquises de la science », comme le précise le code de déontologie médicale (article R 4127-31).

Donc, si un médecin prescrit hors AMM un médicament très controversé quant à ses effets, il n’est pas hors-la-loi : il prend ses risques. Si le patient décède prématurément en raison de cette prescription, il y aura procès et expertises. Si les experts concluent que cette prescription hors AMM était trop risquée, le prescripteur sera responsable et devra indemniser. Comme Didier Raoult est professeur hospitalier, c’est son employeur (l’hôpital), qui indemnisera. Mais les experts peuvent aussi estimer que dans l’urgence il était raisonnable de tenter l’expérience. La loi le permet et prévoit même que le médecin prescrivant un médicament hors AMM en cas d’urgence sanitaire n’est pas responsable d’éventuels effets indésirables quand l’État recommande ce traitement. Mais l’État ne recommande plus rien depuis le décret du 26 mai.

Restera à convaincre le patient par une information « loyale, claire et appropriée » (article R 4127-35) : lui exposer clairement les risques et le débat que suscite le traitement en question, les arguments pour et contre, le bénéfice attendu au final alors qu’une majorité de confrères se prononcent contre, et le tout sans le bercer d’illusions. Car tout procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé est interdit.

Erratum du 28 mai 2020 : précision de la date à partir de laquelle l’État ne recommande plus de traitement (26 mai).

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