Devant les mairies françaises, la tentation croissante du pavoisement illégal
Autrice : Clotilde Jégousse, journaliste
Relecteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public
Depuis le 7 octobre, le maire de Nice Christian Estrosi maintient des drapeaux israéliens sur le fronton de sa mairie, en soutien à l’État hébreu. Une pratique devenue monnaie courante ces dernières années, alors qu’elle porte atteinte au principe de neutralité des services publics.
Ils promettent de revenir chaque soir à 20 heures. Depuis une semaine, une centaine de manifestants fait quotidiennement le pied de grue devant l’hôtel de ville de Nice pour exiger le retrait des drapeaux bleu et blanc, plantés par-dessus la balustrade du bâtiment ocre. Christian Estrosi les a fait installer au lendemain des attaques du 7 octobre. Il avait alors assuré qu’ils resteraient en place “tant qu’Israël n’aura pas gagné cette guerre”, donnant ainsi à son geste une portée politique.
Principe de neutralité et domaine réservé
Il existe pourtant un principe de neutralité des services et des bâtiments publics. Tout comme il est interdit “d’apposer aucun signe religieux sur les monuments publics”, en vertu de l’article 28 de la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État, les emblèmes politiques sont proscrits. “Il y a une obligation de neutralité apparente. L’usager, quel que soit son bord politique ou ses convictions, doit savoir avant même d’entrer dans un service public qu’il sera traité de la même façon que les autres”, explique Clément Benelbaz, maître de conférence HDR en droit public à l’Université Savoie Mont Blanc et auteur du livre “Le principe de laïcité en droit public français”.
Un maire ne peut pas non plus “montrer de préférence ou d’engagement dans les affaires internationales, qui relèvent de la compétence exclusive du chef de l’État”, précise Clément Benelbaz. L’article 52 de la Constitution prévoit en effet que c’est le Président de la République qui “négocie et ratifie les traités”, donc choisit d’engager la France sur une voie diplomatique en particulier. Dans le cadre du conflit entre Israël et le Hamas, le chef de l’État serait donc le seul à pouvoir décider de hisser les couleurs d’Israël.
“Course contre la montre”
Christian Estrosi n’est toutefois pas le seul à utiliser sa mairie comme un étendard. De la loi de 1905, “l’article 28 est l’un de ceux qui font le plus l’objet d’atteintes de la part des collectivités. Sur ce point, il y a sans doute une forme de provocation de la part des élus”, déplore Clément Benelbaz.
En 1995, Garcin Malsa, maire souverainiste de Sainte-Anne en Martinique, avait élevé un drapeau rouge, vert et noir, alors symbole des indépendantistes martiniquais, sur le fronton de la mairie de sa commune. Le 27 juillet 2005, le Conseil d’État avait jugé son acte contraire au principe de neutralité des services publics. Il avait rappelé que celui-ci s’opposait “à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d’opinions politiques, religieuses ou philosophiques”.
Le 30 juin 2010, le maire de la commune de Vaulx-en-Velin, près de Lyon, avait lui entrepris d’ajouter le drapeau palestinien aux couleurs française et européenne devant sa mairie. Le Préfet du Rhône avait alors saisi la justice. Dans une décision rendue le 7 juillet 2011, le tribunal administratif de Lyon avait jugé que l’acte constituait “l’expression directe d’une prise de position politique dans le domaine de la politique étrangère de la France”, relevant du domaine exclusif du chef de l’État. Il avait également écarté l’argument de la “liberté de pensée et de conscience” de l’élu, avant d’enjoindre la mairie de décrocher son drapeau.
Rebelote six ans plus tard, cette fois à l’encontre de la commune de Stains, en Seine-Saint-Denis. Son maire depuis 2014, Azzédine Taïbi, avait décidé d’accrocher une banderole demandant la libération de “Marwan B, le Mandela palestinien” – en référence à Marwan Barghouti, homme politique palestinien emprisonné en Israël depuis 2004 pour son rôle dans la seconde Intifada. Le 23 mars 2017, la Cour administrative de Versailles avait enjoint la mairie à la décrocher.
Si la jurisprudence est claire sur le sujet, le temps judiciaire est toujours plus long que le temps politique, ce qui pousse les maires à s’engouffrer dans la brèche. “C’est une course contre-la-montre qui s’engage : tant qu’il n’y a pas de décision rendue, il s’agit de repousser au maximum”, analyse Clément Benelbaz. À Nice, le Tribunal administratif a rejeté il y a quelques jours la demande en référé qui arguait que le maintien des drapeaux constituait un “risque pour la sécurité publique des niçois”. Puisque les drapeaux sont installés depuis près de huit mois, il a estimé qu’il n’y avait “pas d’urgence” à statuer, et ne s’est donc pas prononcé sur le fond.
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