David Lisnard, Maire LR de Cannes-La Bocca, retire sa place de marché à un commerçant. Motif : son fils a été condamné pour vol avec violence sur une femme âgée
Dernière modification : 14 décembre 2022
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani et Yeni Daimallah
Source : Nice-Matin, 2 décembre 2022
La police des marchés permet de prendre des mesures d’urgence et même des sanctions contre les marchands qui troublent l’ordre public au sein d’un marché. Mais pas contre un marchand au seul motif qu’il est père d’un délinquant.
En tant que maire (de Cannes-La Bocca en l’occurrence), David Lisnard détient un pouvoir de police administrative sur les marchés municipaux.
Selon les textes, c’est lui qui y assure le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité, notamment en attribuant ou retirant les emplacements aux commerçants. Les agents de la police municipale y veillent en vertu du Code de commerce, au besoin en infligeant des procès-verbaux aux marchands en infraction avec les règles du commerce ambulant.
Par une décision qui n’est pas publiée car nominative et donc couverte par le droit au respect de la vie privée, la mairie de Cannes-La Bocca a ainsi supprimé le droit pour un commerçant d’occuper l’emplacement qu’il exploitait jusqu’alors. Le motif : son fils a été placé en centre éducatif fermé en raison d’un vol avec violence sur une femme de 89 ans. Or, ce motif est sans lien avec la police des marchés.
Le maire détient un pouvoir de police des marchés municipaux, mais pas pour punir le père d’un délinquant…
Le pouvoir de police du maire sur les marchés permet d’abord de prévenir et faire cesser les troubles éventuels pouvant survenir au sein du marché ou aux alentours : un marchand qui hurle à tous vents tout le bien qu’il pense de sa marchandise, qui ne respecte pas les règles d’hygiène, qui vend des marchandises interdites, etc. Au besoin, la mairie peut déplacer un marchand et même lui retirer son emplacement, et les agents de police municipale peuvent lui infliger une amende. Il existe donc un trouble (ou risque de trouble) lié au comportement du marchand, qui justifie que le maire prenne une mesure, notamment le retrait de l’emplacement.
En quoi la condamnation du fils d’un marchand ambulant nuit-elle au bon ordre au sein d’un marché municipal ? La mairie s’en explique dans un communiqué de presse : le fils a “sauvagement agressé” une dame de 89 ans ; il a été renvoyé de plusieurs collèges pour avoir insulté un agent de l’Éducation nationale et blessé un autre élève ; il aurait fait l’objet d’une “information préoccupante” (dont on ne saura pas le contenu) ; “la famille est également connue” de la caisse d’allocation familiale pour des fraudes.
Aucun trouble à l’ordre public au sein du marché
Ce comportement du fils, et de la famille entière à en croire le communiqué, menace-t-il le bon ordre au sein du marché municipal ? Poser la question, c’est un peu y répondre en l’occurrence : sauf preuve contraire, la mairie dit avoir retiré la place pour la réattribuer à des “familles méritantes” : mais où est le trouble à l’ordre public au sein du marché ?
La mairie ajoute : c’est une « une mesure d’ordre : on ne savait pas quelle allait être la réaction des gens sur le marché. » Mais c’est bien vague : pour qu’un juge admette la légalité d’une mesure de police telle que le retrait d’une place de marché ou n’importe quelle autre mesure, il lui faut des motifs précis tels que des troubles à l’ordre public avérés au sein du marché, ou au moins des craintes plausibles. Le délit commis par le fils est évidemment en soi un trouble grave à l’ordre public, mais il ne concerne pas le marché municipal. Sauf s’il existe des faits non relatés par la presse à ce jour, nous ne voyons pas, dans cette affaire, où est le trouble ou le risque de trouble à l’ordre public au sein du marché. Or la police des marchés ne peut être actionnée que dans le but de maintenir l’ordre au sein des marchés. Pas pour sanctionner la famille d’un délinquant.
Une atteinte à la vie privée… par-dessus le marché
On notera au passage la flagrante atteinte à la vie privée de toute une famille, dont la mairie se justifie tout aussi maladroitement. Si le marchand a “décidé de médiatiser” cette affaire comme l’indique le communiqué de la mairie, c’est son droit : il fait ce qu’il veut de sa vie privée. Mais pour autant, la mairie n’a aucun droit de “déballer” publiquement des informations qui, en outre, ont été obtenues dans le cadre d’enquêtes administratives ou pénales, et qui affectent non seulement le fils, mais toute la famille. C’est une atteinte au secret professionnel sanctionnée par le Code pénal, et à la vie privée, protégée par la Convention européenne des droits de l’homme (article 8).
En somme, non seulement le retrait d’emplacement prononcé contre ce marchand est illégal, mais la mairie est fautive pour violation du secret et atteinte à la vie privée.
Contactée, la mairie de Cannes-La Bocca n’a pas répondu à nos sollicitations.
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