Crédit : Heinrich-Böll-Stiftung (CC BY-SA 2.0)

Daniel Cohn-Bendit pouvait-il être inquiété pour ses propos sur les mineurs en 1982 ?

Création : 17 octobre 2024

Autrices : Emma Moretti, Romane Munari et Esma Yildirim, M1 droit pénal à Nancy

Relecteurs : Etienne Merle, journaliste

Jean-Baptiste Thierry, professeur de droit pénal à l’université de Lorraine

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste

Source : Compte Facebook, le 21 janvier 2023

Des propos sur la sexualité des jeunes filles tenus par Daniel Cohn-Bendit en 1982 choquent de nombreux internautes. Certains se demandent pourquoi l’ancien député européen n’a jamais été inquiété par la justice. Les Surligneurs se sont penchés sur la question.

Ces propos lui collent à la peau. En 1982, sur le plateau de l’émission “Apostrophes”, l’ancien eurodéputé écologiste Daniel Cohn-Bendit disait tout le bien qu’il pensait de la sexualité des mineurs : “La sexualité d’un gosse, c’est absolument fantastique”, déclare-t-il, avant d’ajouter : “Vous savez, quand une petite fille de cinq ans commence à vous déshabiller, c’est fantastique, c’est un jeu absolument érotico-maniaque”.

Passés relativement inaperçus à l’époque, ces propos sont désormais largement relayés par des internautes qui y voient l’apologie de comportements inappropriés envers des enfants. “Daniel Cohn-Bendit assume clairement et odieusement sa pédophilie, surtout des petites filles de 4 ans dit-il. Ce type devrait être en prison”, s’insurge l’un d’entre eux sur Facebook.

Interrogé en 2001 par nos confrères de Libération, “Dany le rouge” s’est défendu de tout acte répréhensible : “La pédophilie est un crime. L’abus sexuel est quelque chose contre lequel il faut se battre. Il n’y a eu de ma part aucun acte de pédophilie”, affirmait-il.

Si l’ancien élu n’a jamais été accusé — ni même inquiété — par la justice pour des actes pédophiles, reste ces propos tenus dans une émission de grande écoute.

Pourquoi Daniel Cohn-Bendit n’a-t-il pas été condamné ? Et pourrait-il l’être aujourd’hui, comme le réclament certains internautes ?

Le monde d’hier

Pour répondre à ces questions, regardons de plus près le contexte juridique de l’époque. En 1982, les lois françaises sur la protection des mineurs, notamment celles relatives aux infractions sexuelles, sont moins développées qu’aujourd’hui.

Le contexte social de l’époque était aussi bien différent. La loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles, ainsi qu’à la protection des mineurs, était encore loin et le traitement pénal des infractions sexuelles n’avait pas grand-chose à voir avec ce qu’il est aujourd’hui.

À l’époque, deux articles du Code pénal répriment les comportements inappropriés envers les mineurs. Le premier, l’article 334-2 du Code pénal, en vigueur le 3 février 1981, réprime la corruption de mineurs. Le second, l’article 331, traite des attentats à la pudeur sur mineurs.

Ces deux infractions consistaient, pour l’une, à attenter aux mœurs en “excitant à la débauche ou en favorisant la corruption des mineurs” et, pour l’autre, à avoir un comportement physique inapproprié sur le corps d’un mineur. La loi visait donc davantage les actes matériels plutôt que les discours incitatifs.

De surcroît, aucune infraction “d’incitation à la pédophilie” n’existait à cette époque. La provocation à commettre des infractions, réprimée à l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881, ne visait pas ces comportements.

Dit autrement, certains actes commis sur les mineurs étaient réprimés, mais pas les discours les présentant sous un jour favorable. Les propos tenus par Daniel Cohn-Bendit n’étaient donc pas punissables au sens de la loi.

Par ailleurs, la modification, en 1992, de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 qui permet désormais de punir la provocation à commettre des “atteintes volontaires à l’intégrité de la personne et [d]es agressions sexuelles”, ne change rien, même si elle punit quelque chose qui ne l’était pas avant.

En effet, il existe un principe important en droit pénal : les nouvelles lois qui sont plus sévères (ce qui est le cas d’une loi qui punit quelque chose qui ne l’était pas avant) ne peuvent pas s’appliquer à des faits commis avant leur entrée en vigueur.

Et la prescription ?

À supposer que les propos aient été punissables et que l’ex-eurodéputé EELV soit passé entre les mailles du filet à l’époque, il ne peut de toute façon plus être condamné pour des déclarations vieilles de 42 ans. En effet, la prescription est intervenue depuis.

Mais alors qu’en est-il aujourd’hui ? Si l’ancien élu écologiste tenait les mêmes propos en 2024, dans une émission de télévision, pourrait-il être condamné ?  Pour le savoir, il faudrait démontrer qu’il y a une réelle incitation. Il reviendrait alors au juge de déterminer si les propos de Daniel Cohn-Bendit tombent sous le coup de la loi.

 

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