Danemark : déplacer les demandes d’asile vers un autre pays, juridiquement possible ?
Dernière modification : 22 juin 2022
Auteur : Hugo Leroux, master droit européen, Université de Lille
Relectrice : Tania Racho, docteure en droit européen, Université Panthéon-Assas
Source : Le Monde, 11 mai 2021
Le Danemark a adopté une loi permettant de conclure un accord pour qu’un pays tiers, hors de l’Union européenne, accueille les demandeurs d’asile et examine leur dossier. Cette externalisation du traitement des demandes d’asile interroge sur le terrain juridique et les obstacles ne sont pas si évident que ça, le Danemark n’étant pas lié par les règles de l’asile de l’Union européenne.
Mattias Tesfaye, ministre danois de l’Immigration et de l’Intégration, répondait en mai 2021 à des questions de la télévision danoise concernant l’accord signé avec le Rwanda sur la coopération entre les deux États en matière d’asile et de migration. Alors que la loi permettant d’externaliser les demandes d’asile a été adoptée par le Parlement danois le 3 juin 2021, le Rwanda ne semble finalement pas définitivement engagé. Même si la concrétisation de ce déplacement géographique du traitement des demandes d’asile n’est pas encore effective, il pose de nombreuses questions juridiques, sur le terrain du droit européen et du droit d’asile.
De quoi s’agit-il ? Faire sous-traiter l’instruction des demandes d’asile vers un pays tiers où seraient envoyés les demandeurs venus au Danemark
Le Danemark affiche depuis plusieurs années maintenant sa volonté de “réduire à zéro” le nombre de demandeurs d’asile dans le pays. La loi adoptée en juin 2021 organise une sous-traitance de la prise en charge des demandeurs d’asile. Mattias Tesfaye, ministre de l’Immigration affirmait : en mai 2021 aux médias : “Il est vrai que le gouvernement souhaite établir un nouveau système d’asile où le traitement des demandes serait déplacés en dehors du Danemark. Nous sommes en discussion avec un certain nombre de pays sur ce sujet.”
Cette affirmation intervient après le voyage du ministre danois fin avril 2021 au Rwanda, qui s’est conclu par la signature d’un accord tenant à la coopération entre les deux pays en matière d’asile et de migration. De nombreuses questions restent en suspens. Le Danemark souhaite en effet envoyer les demandeurs d’asile par avion dans des centres de réfugiés au Rwanda. Un demandeur envoyé dans un tel centre pourrait obtenir l’asile, mais resterait alors au Rwanda, sans que l’on ne sache vraiment quel serait son statut (réfugié danois ?). Tandis qu’un réfugié qui se verrait débouté de sa demande, serait renvoyé dans le pays dont il est le ressortissant. Cela a un coût non négligeable qui pourrait constituer un frein pour le Danemark.
Reste que le Rwanda a publié un communiqué sur l’accord de coopération avec le Danemark et a précisé que “recevoir des demandeurs d’asile du Danemark au Rwanda et traiter les demandes d’asile du Danemark ne fait pas partie du mémorandum”. Finalement, le projet de loi danois a été adopté ce jeudi 3 juin. Pour le moment, aucun pays tiers n’a donc officiellement accepté et aucun centre de demandeurs d’asile n’a été construit.
Une expulsion collective des demandeurs d’asile vers le pays sous-traitant les demandes serait-elle contraire au droit international ?
La position du Danemark est vivement critiquée. Le Haut Commissariat pour les réfugiés des Nations Unies redoute une érosion du système de protection internationale, tandis que l’ONG Amnesty International estime que “Ce serait non seulement inacceptable, mais aussi potentiellement illégal. Le Danemark ne peut pas refuser le droit de ceux arrivant au Danemark pour y trouver refuge et les transférer dans un pays tiers sans les garanties requises”. Autrement dit, transférer ces demandeurs d’asile dans un autre pays serait illégal lorsque ceux-ci ne peuvent pas, dans ce pays, bénéficier des garanties offertes par le droit international.
Mais l’argument le plus sérieux est celui reposant sur le “principe de non-refoulement”, qui est prévu dans la Convention de Genève 1951 à laquelle le Danemark a adhéré depuis 1968 (article 33 § 1). Ce principe oblige les pays à accueillir les demandeurs d’asile pour étudier leur dossier avant toute expulsion. Renvoyer d’office tous les demandeurs d’asile dans un autre pays, même si celui-ci est mandaté pour étudier la demande au nom du Danemark, paraît contraire à ce principe. Toutefois, le principe de non-refoulement a rarement été appliqué par les juges.
De plus, si le Danemark renvoie tous ses demandeurs d’asile vers le Rwanda, cela pourrait être considéré comme une expulsion collective, très expressément interdite par le protocole n°4 à la Convention européenne des droits de l’Homme, de 1963 (art. 4 : ”Les expulsions collectives d’étrangers sont interdites”). Cette interdiction impose une prise en compte individuelle et différenciée de chaque demande d’asile.
Et les règles de l’Union européenne ?
Pour l’asile, le Danemark, tout comme l’Irlande, a décidé d’opposer une clause de non-participation à la politique de l’Union en matière d’espace de liberté, de sécurité et de justice. On parle “d’opting-out”, qui consiste à adhérer à un traité tout en excluant certaines de ses clauses. Ainsi le Danemark a-t-il exclu l’application chez lui du droit européen de l’asile.
Mais on peut s’interroger sur la possibilité du Danemark d’agir de façon autonome avec un pays tiers. Le traité sur l’Union européenne prévoit une politique extérieure qui doit être cohérente (article 21 § 3), ce qui veut dire que les membres de l’Union sont censés favoriser une ligne politique unique de l’Union. Donc si le Danemark reste libre d’adopter des traités avec des pays extérieurs à l’Union, ces accords doivent rester en cohérence avec l’action extérieure de l’Union, ce qui n’est clairement pas le cas ici. Reste que le principe de cohérence est bien flou et serait difficile à plaider devant un juge européen contre le Danemark. Mais l’Union pourrait contourner l’obstacle et exercer une pression sur le Rwanda en le poussant par exemple à choisir entre un accord avec le Danemark, et les accords commerciaux avec l’Union… La particularité du droit international est qu’il se négocie bien plus que le droit interne.
Contacté, le service de presse du ministre de l’immigration danois a précisé que l’objectif de cette loi est d’éviter les nombreux décès causés par les routes migratoires. Il précise également qu’il souhaite accueillir des réfugiés par le biais du système de réinstallation géré par le Haut Commissariat pour les réfugiés des Nations Unies.
Mise à jour le 13 juillet à 11h08 : dans le dernier paragraphe, le mot “délocalisation” a été remplacé par celui de “réinstallation“.
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