Covid-19 : Non, le vaccin d’AstraZeneca n’a pas “perdu” son autorisation de commercialisation à cause d’effets secondaires

Création : 17 mai 2024
Dernière modification : 21 mai 2024

Autrice : Clara Robert-Motta, journaliste

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Sasha Morsli Gauthier

Source : Compte Facebook, 9 mai 2024

Alors que le vaccin contre le Covid-19 d’AstraZeneca est, depuis un moment, sous le feu des critiques pour des suspicions d’effets indésirables graves, l’entreprise pharmaceutique arrête de commercialiser ce produit. Pour autant, les raisons de cette interruption ont plus à voir avec la catastrophique plongée des ventes que des rares cas de thromboses.

Coup de tonnerre sur les réseaux sociaux. AstraZeneca a retiré de la vente son vaccin contre le Covid-19. Dès l’annonce du laboratoire pharmaceutique le 8 mai dernier, de nombreux internautes se sont fendus de publications dont les conclusions sont bien éloignées du communiqué initial. Pour ces derniers, ce serait la preuve, une fois pour toutes, que le vaccin contre le Covid-19, produit par AstraZeneca, est dangereux. S’il est vrai que ce vaccin, Vaxzevria, ne sera plus commercialisé, de quoi parle-t-on exactement ?

Dans plusieurs posts, les internautes sous-entendent que la Commission européenne aurait interdit la vente du vaccin. Or, bien que l’autorisation de mise sur le marché (AMM) de Vaxzevria ait été retirée par la Commission, ce n’est pas l’institution européenne qui en est à l’origine.

Un intérêt économique faible (voire nul)

Dans un premier temps, le laboratoire pharmaceutique a lui-même transmis une demande de retrait d’autorisation de son vaccin auprès de la Commission européenne, le 5 mars 2024. C’est cette institution qui s’occupe de délivrer les fameuses AMM, après réception et contrôle des dossiers par l’Agence européenne des médicaments.

Dans le cas de Vaxzevria, ce laissez-passer commercial a, en effet, été retiré le 27 mars 2024 par la Commission européenne. Sans ce précieux papier, il est désormais impossible de commercialiser le médicament dans toute l’Europe. Or, ce n’était, de toute façon, plus l’ambition d’AstraZeneca.

Le géant pharmaceutique motive sa décision par une baisse drastique des demandes et, de facto, des ventes de son vaccin Covid-19. AstraZeneca explique aux Surligneurs vouloir “clore ce chapitre”. “Comme de nombreux vaccins de variants Covid-19 ont, depuis, été développés, il y a un surplus de vaccins mis à jour disponibles”, développe l’entreprise. “Cela a mené à une baisse de la demande pour Vaxzevria, qui n’est plus produit ni distribué.

En analysant les bilans financiers d’AstraZeneca, il ne fait pas de doute que ce vaccin n’est plus du tout populaire. Le 29 janvier 2021, le vaccin contre le Covid-19 d’AstraZeneca, qui vient d’être développé avec l’université Oxford et n’est pas encore connu sous le doux nom de Vaxzevria, reçoit une autorisation de mise sur le marché conditionnelle (qui permet d’accélérer le processus). Il finit par recevoir une AMM standard le 31 octobre 2022 et, au départ, c’est carton plein.

La première année, ce vaccin est vendu pour 3,981 milliards de dollars américains dans le monde entier, dont 1,035 milliards en Europe. En 2022, c’est plus compliqué : le total des ventes de Vaxzevria baisse de plus de la moitié pour arriver à 1,798 milliards de dollars dans le monde, dont 365 millions en Europe.

Tous les producteurs encaissent la baisse

En tout, AstraZeneca revendique la vente de 3 milliards de doses de vaccins dans le monde. Mais en 2023, il n’y a quasiment plus de revenus. Au quatrième trimestre fiscal 2023, AstraZeneca annonce même une perte de revenus liés à Vaxzevria de 17 millions de dollars. Selon AstraZeneca, Vaxzevria n’a pas généré de revenus depuis avril 2023.

Les autres producteurs de vaccins contre le Covid-19 ont aussi vu leurs revenus chuter de façon importante. Le leader des vaccins contre le Covid-19, Comirnaty, a rapporté “seulement” 11,220 milliards de dollars à ses producteurs Pfizer-BioNTech en 2023, quand il avait rapporté 36,781 milliards en 2021 et 37,806 milliards en 2022. Le ralentissement a été brutal dans le monde, mais AstraZeneca est le seul à avoir véritablement arrêté de produire.

La justification de la perte de rentabilité semble a priori coller aux réalités économiques du groupe pharmaceutique. Pour l’Agence européenne des médicaments, “cette décision de retirer le vaccin prise par l’entreprise était purement commerciale”.

Ce n’est pas rare pour une entreprise de demander ce genre de retrait. Sur les 1 736 médicaments autorisés depuis 1995, environ 20% (343) ont été retirés. “L’écrasante majorité de ces retraits font suite à une demande de la part de l’entreprise”, précise l’agence européenne aux Surligneurs.

S’affranchir d’obligations… et de galères

Mais au-delà de la simple rentabilité, c’est aussi une manière de s’affranchir de certaines obligations en matière de réglementation. Sans mise sur le marché, plus d’inspections des autorités par exemple. Dans le cas des vaccins Covid-19, une entreprise peut aussi demander à retirer son vaccin “s’il n’a pas l’ambition de mettre à jour le vaccin pour correspondre avec le dernier variant en circulation du virus”, explique l’Agence européenne des médicaments.

Si les institutions européennes et le producteur de vaccins démentent tout autre lien de causalité que cet aspect commercial, plusieurs internautes font référence à une responsabilité du vaccin dans des cas de thromboses.

Rien de nouveau jusqu’ici, le vaccin fait depuis longtemps l’objet de doutes chez certains. La non-autorisation du vaccin d’AstraZeneca aux États-Unis* (quand ses concurrents avaient le précieux Graal ouvrant la porte au marché américain) avait déjà alimenté les théories selon lesquelles le vaccin n’était pas fiable.

Sauf qu’ici, certains assurent que le laboratoire, lui-même, aurait enfin admis la responsabilité de son vaccin dans des cas de thromboses. Mais là encore, cette information doit être précisée.

Une cinquantaine de plaignants au Royaume-Uni

L’entreprise suédo-britannique fait l’objet d’une poursuite judiciaire collective au Royaume-Uni. Pour le moment, une cinquantaine de personnes se sont manifestées dans le cadre de cette class action sauce anglaise. Elles accusent le vaccin d’être à l’origine de thromboses qui ont mené à des handicaps, voire à la mort.

C’est dans ce cadre-là qu’on peut lire de la part de l’équipe d’AstraZeneca, dans un document transmis à la Haute Cour de justice (une des trois cours supérieures d’Angleterre et d’Écosse) en février : “Il est admis que le vaccin AZ peut, dans de très rares cas, causer un TTS [syndrome de thrombose-thrombocytopénie, ndlr].

Il est donc vrai qu’AstraZeneca a reconnu que son vaccin pouvait causer des cas de thromboses, mais il faut préciser que c’est dans “de très rares cas”. “Le mécanisme causal est connu”, poursuit AstraZeneca. “De plus, un TTS peut arriver en l’absence du vaccin AZ (ou de n’importe quel vaccin).” Concernant les procès en cours, le laboratoire pharmaceutique explique que “le lien de causalité devra être examiné par les experts dans chaque cas individuel.”

Se délester d’un poids ?

Si AstraZeneca dément tout lien entre le procès et la demande de retrait d’autorisation, l’enseignante-chercheuse en économie à l’université Sorbonne Paris-Nord et membre des Économistes Atterrés, Nathalie Coutinet, rappelle que les galères judiciaires d’AstraZeneca s’ajoutent au contexte économique. “Il n’y a pas un marché suffisant pour AstraZeneca, ils n’en vendent pas suffisamment. Et, étant donné, les attaques dont leur vaccin fait l’objet au Royaume-Uni, la meilleure stratégie pour eux est en effet de le retirer.

Au-delà des procédures en cours, l’économiste estime que retirer l’autorisation permet de se protéger contre tout risque de poursuites pour d’autres vaccins qui utiliseraient la licence d’AstraZeneca. En 2020, l’Alliance du Vaccin (Gavi), la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (CEPI) et l’Organisation mondiale de la Santé ont financé, en partie, des recherches pour trouver des vaccins et les partager aux pays à faible et moyen revenus. C’est le programme Covax. Parmi les financements attribués, on retrouve AstraZeneca.

AstraZeneca a donné une licence au Serum Institute of India pour produire sa version du vaccin d’AstraZeneca pour les pays à faible revenu”, précise un porte-parole du Gavi aux Surligneurs. Avec ce partenariat, 288 millions de doses du vaccin Vaxzevria et 292 millions de doses du vaccin du laboratoire indien, connu sous le nom de Covishield, ont été délivrées. Aujourd’hui, plus aucune dose de ce vaccin, Vaxzevria ou même Covishield, ne sont produites selon le producteur et les institutions.

AstraZeneca a donc fait le choix de se retirer de ce marché, pas assez rentable pour eux, tandis que d’autres producteurs pharmaceutiques adaptent leurs stratégies. Sanofi s’allie par exemple avec Novovax pour associer leur vaccin contre le Covid-19 à celui contre la grippe. Force est de constater que tous les acteurs économiques qui ont œuvré pendant la pandémie n’ont pas tous trouvé leur place dans ce nouveau monde où le Covid-19 est désormais une maladie endémique.

 

*À noter que ce vaccin d’AstraZeneca n’a pas reçu l’autorisation de mise sur le marché aux États-Unis. Les ventes qui sont attribuées aux “US” sur l’infographie sont, selon AstraZeneca, liées aux doses de vaccins qui ont été “données par le gouvernement américain à d’autres nations”.

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