Coronavirus : Mais que fait l’Europe ? Brève revue de ce qu’on peut – ou pas – attendre de l’Union européenne
Dernière modification : 20 juin 2022
Auteur : Vincent Couronne, docteur en droit public, chercheur associé au laboratoire VIP (Paris-Saclay)
Selon certains, l’Europe ne fait rien. Selon d’autres, elle est à l’avant-poste de la crise due au coronavirus. Les deux ont tort. Les premiers parce que l’Union peut agir et agit effectivement, par exemple en injectant plus de 1000 milliards d’euros dans l’économie. Les seconds parce qu’elle ne peut pas tout, et n’a pas reçu le pouvoir de diriger la réponse à la crise sanitaire liée au Covid-19. Petit tour de ce que l’Union peut ou ne peut pas faire dans cette crise.
Ce que l’Union ne peut pas faire
« À l’impossible nul n’est tenu ». Or, l’Union européenne n’agit que dans le cadre des pouvoirs qui lui sont conférés… par les États membres. Et en 2007, lors de la rédaction du Traité de Lisbonne, l’échec de la Constitution européenne en avait refroidi plus d’un et il avait été décidé de retirer à l’Union, à la demande du Danemark, la possibilité d’harmoniser les mesures de lutte contre les pandémies.
Du coup, le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne interdit à l’Union toute harmonisation des législations nationales pour lutter contre les menaces transfrontalières à la santé (article 168 paragraphe 5 TFUE). La protection de la santé publique reste donc essentiellement du ressort des États membres.
Par ailleurs, l’Union européenne ne peut pas rétablir les contrôles aux frontières. Seuls les États membres peuvent décider de rétablir les contrôles aux frontières intérieures (article 25 du code frontières Schengen). Il en va de même pour les frontières extérieures, même si les États membres se sont coordonnés au sein du Conseil européen pour le faire en même temps. Chaque État conserve donc la maîtrise de ses frontières dans le cadre de la crise sanitaire.
Cela n’a donc pas de sens d’affirmer que l’Union ne fait rien, dans un domaine où les États membres n’ont pas voulu qu’elle puisse agir. Il est hors de question pour l’Union d’outrepasser les pouvoirs qu’elle a reçus.
Ce que l’Union fait
Il n’y a pas que les mesures de santé publique qui peuvent aider à affronter la crise sanitaire. Il y a aussi les mesures budgétaires et économiques. Et dans ce domaine, l’Union a de quoi agir. On ne dressera pas la liste des mesures prises par l’Union européenne pour faire face à l’épidémie de Covid-19, la Commission européenne en fait la promotion elle-même. Mais quelques exemples tout de même.
Pour le bon fonctionnement du marché intérieur, l’Union tente de coordonner l’approvisionnement du matériel sanitaire en lançant un appel d’offre européen pour l’acquisition de matériel médical. La Commission a aussi supprimé les droits de douanes sur ces matériels en provenance de pays tiers. Avec l’aval du Parlement européen, elle a aussi utilisé l’arme budgétaire : flécher des crédits du budget européen vers les dépenses de santé, notamment pour la recherche d’un traitement et d’un vaccin. Mais l’Union ayant un budget très faible et n’ayant pas le droit de s’endetter, ses marges de manœuvres sont inférieures à celles d’un État comme la France. Elle a donc autorisé les États membres de s’endetter eux-mêmes en dérogeant à la règle des 3 % de déficit, ce qui est permis par les traités en cas de grave récession économique (articles 3 paragraphe 5 et 5 paragraphe 2 du règlement du 7 juillet 1997, modifié en 2011).
Ce que l’Union aurait pu faire
Dire cependant que l’Union n’a aucune compétence en matière de santé publique serait aller un peu vite en besogne. Car depuis 2009 et l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, l’Union est compétente pour légiférer sur la prévention des épidémies. Si elle ne peut pas, comme nous l’avons dit, harmoniser les législations des États membres en la matière, c’est-à-dire adopter des actes à l’échelle européenne qui remplaceraient les lois et règlements nationaux pour lutter contre une pandémie, elle peut néanmoins, précise toujours l’article 168 TFUE, « encourager » les États membres dans leur lutte. Sauf qu’elle ne l’a pas fait. Et au vu du cheminement législatif pour adopter un tel encouragement – adoption d’un texte par le Parlement européen et le Conseil, après avis du Conseil économique et social et du Comité des régions – inutile de dire que c’est désormais un peu tard.
À moyen terme cependant, rien n’empêche l’Union d’agir, à part peut-être la volonté à la fois de la Commission, du Parlement ainsi que du Conseil réunissant les États membres… Du côté du Parlement européen, une initiative d’envergure est passée extraordinairement inaperçue. Réunis en séance plénière vendredi 17 avril dernier, les députés ont adopté par 395 voix contre 171 une résolution sur une action coordonnée de l’Union pour combattre la pandémie de COVID-19. Ils y déplorent l’incapacité du Conseil européen à parvenir à un consensus et proclament que « la solidarité entre les États membres n’est pas une option mais une obligation qui découle des traités et fait partie de nos valeurs européennes ». En conséquence, ils demandent le renforcement des moyens et pouvoirs du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) pour lui permettre de stocker du matériel médical et de dépêcher du personnel en cas d’épidémie. En d’autres termes, il s’agirait d’avoir au niveau européen un équivalent des CDC américains, les Centers for Disease Control and Prevention. Rien, dans les traités de l’Union, ne s’y opposerait.
Enfin, on pourrait aussi citer le cas de l’agriculture, au soutien de laquelle est venue la Commission européenne en annonçant des aides financières et une simplification des procédures administratives. Néanmoins, alors que des députés européens lancent des signaux d’alerte à la Commission au sujet de la situation des agriculteurs qui souffrent grandement de la situation, il ne semble pas y avoir pour le moment de réponse d’envergure, alors que la politique agricole est bien une politique commune (la PAC).
Rien ne sert donc de dire que l’Union ne peut rien, ni de tout attendre d’elle. La vérité est entre les deux, et il faudra bien garder à l’esprit la répartition des pouvoirs entre les États et l’Union lorsqu’il s’agira d’établir les responsabilités des uns et des autres dans la gestion de la crise sanitaire, pour améliorer, dans l’avenir, la réponse à apporter à un tel type de menace.
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