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La ville de Paris a acheté l'immeuble du 37 avenue George V pour 17 millions d'euros en 2008. Crédits : Ludovic Marin / AFP

Comment ont été utilisés les 48 millions d’euros qui ont servi à racheter les HLM parisiens des beaux quartiers ?

Création : 12 septembre 2025

Auteur : Nicolas Turcev, journaliste

Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Nicolas Turcev, journaliste

Source : Cnews, le 2 septembre 2025

L’utilisation des fonds de la ville de Paris pour l’acquisition et la transformation d’un immeuble haussmannien en logements sociaux a déclenché une vive polémique sur les réseaux sociaux. Mais finalement, l’opération devrait être rentable aussi bien pour la mairie que pour le bailleur social.

L’argent des Parisiens s’envole-t-il par les fenêtres des beaux quartiers ? Depuis l’annonce, par la ville de Paris, le 2 septembre 2025, d’un projet de conversion en HLM d’un immeuble haussmannien du très chic 8e arrondissement, la toile s’enflamme. Le prix supposé de l’opération, 48 millions d’euros, pour la création de 23 logements sociaux, a choqué de nombreux internautes.

« La mairie de Paris invente les habitations à luxe maximal. 48 millions d’euros pour 23 logements HLM, soit deux millions par appart ! », s’offusque l’un d’entre eux. Comme souvent, la polémique est partie de X, où l’adjoint au logement, le communiste Jacques Baudrier, a échangé des passes d’armes avec l’élu d’opposition au conseil de Paris, Aurélien Véron (LR).

Le présentateur de Cnews, Romain Desarbres, a saisi la balle au vol lors de son édito du 2 septembre. « La France est surendettée, mais la mairie de Paris trouve 48 millions d’euros avec les HLM Paris Habitat pour rénover un immeuble de luxe […] à deux pas des Champs Élysées pour en faire des HLM. Quel est l’intérêt […] pour les Parisiens de payer des logements aussi chers ? », s’est ému l’éditorialiste sur la chaîne d’extrême droite.

Ces affirmations sont toutefois très approximatives. Le montant de 48 millions d’euros correspond à la somme déboursée par le bailleur social de la capitale, Paris Habitat, pour acheter l’immeuble à la ville de Paris, puis le rénover. De plus, chaque logement social n’a pas coûté 2 millions d’euros, mais cinq fois moins, environ 374 000 euros. L’opération est déjà rentable pour la ville de Paris, et pourrait également l’être pour le bailleur.

La municipalité dégage un bénéfice

La genèse du projet date de 2008. Grâce au droit de préemption, la ville de Paris acquiert à cette époque l’immeuble situé au 37 avenue George V, dans l’Ouest parisien. Coût de l’opération : 17 millions d’euros pour 3 600 mètres carrés. « À l’époque déjà, cela valait trois fois plus. C’était une opportunité pour la ville d’acheter extrêmement peu cher », resitue l’adjoint au logement à la mairie de Paris, Jacques Baudrier.

Après une longue bataille judiciaire qui oppose la mairie au vendeur, la ville obtient la propriété de cet immeuble de bureaux en 2016. Sept ans plus tard, en 2023, la municipalité projette de le transformer en HLM, afin de « développer du logement social dans un secteur de Paris très déficitaire en logements sociaux ». Le 8e arrondissement de Paris comptait 4,3 % de logements sociaux en 2023, selon un recensement de l’Atelier parisien d’urbanisme. Bien loin des 19,2 % de l’arrondissement voisin du 17e.

La mairie cède ensuite l’immeuble au bailleur social Paris Habitat pour 40 millions d’euros. Mais avant que les logements soient habitables, des travaux de rénovation sont nécessaires. La ville estime leur coût à 11 millions d’euros. L’opération est financée par différents prêteurs, dont la Caisse des dépôts et consignations, mais aussi par la ville de Paris, grâce à une subvention de 5 millions d’euros.

Au total, selon les prévisions du conseil de Paris, l’opération devrait coûter 51 millions d’euros à Paris Habitat. Mais sur son site, l’organisme HLM affiche un montant légèrement inférieur, de 48 millions d’euros – c’est également le chiffre avancé par l’adjoint au logement, Jacques Baudrier. Contacté, Paris Habitat n’avait pas pu répondre à nos questions avant la publication.

La ville de Paris réalise, elle, un bénéfice substantiel. L’achat de l’immeuble et la subvention versée à Paris Habitat pour la rénovation lui ont coûté 22 millions d’euros, tandis qu’elle a tiré 40 millions d’euros de la vente de l’édifice au bailleur social. La municipalité a donc dégagé un bénéfice de 18 millions d’euros.

Des millions d’euros de recettes

« C’est du bonneteau, a rétorqué, dans les colonnes de Challenges, Jean-Baptiste Olivier, élu LR du 13e arrondissement. Qui finance Paris Habitat ? C’est la ville de Paris. Elle se porte garante des milliards d’emprunts de l’organisme. Tout ça, c’est l’argent des Parisiens. »

La ville de Paris verse, effectivement, chaque année une partie de son budget aux bailleurs sociaux sous forme de subventions et se porte garante d’une partie des emprunts qu’ils contractent. En 2025, par exemple, la mairie s’est portée garante de 106 millions d’euros d’emprunts de Paris Habitat auprès de la Caisse des dépôts et consignations.

Mais le bailleur social génère également ses propres revenus. À travers, notamment, la vente à des personnes privées de logements non sociaux inclus dans des programmes d’acquisition de HLM. C’est ce qu’on appelle la « VEFA inversée ».

Sur les 30 logements de l’immeuble du 37 avenue George V, 23 seront convertis en logements sociaux et sept autres, d’une surface de 520 mètres carrés, seront vendus à des particuliers. L’opération pourrait rapporter plus de 9 millions d’euros à Paris Habitat, selon le prix médian du mètre carré dans le 8e arrondissement (17 935 euros dans le quartier des Champs-Élysées selon les Notaires de France).

À ces recettes estimées s’ajouteront les loyers tirés de la location de deux locaux commerciaux d’une surface de 563 mètres carrés (entre 617 et 1 851 euros/m² de valeur locative par an sur cette avenue) et qui pourraient rapporter entre 350 000 euros et 1 million d’euros chaque année.

L’immeuble ne sera donc pas entièrement composé de logements sociaux qui n’occuperont finalement qu’un peu plus du tiers des 3 600 mètres carrés de surface. Et la cession du reste des locaux générera des recettes pour le bailleur social.

Il est donc trompeur de diviser le coût total de l’opération pour Paris Habitat par le nombre de logements sociaux prévus et ainsi obtenir un coût de 2 millions d’euros par unité. En réalité, l’organisme HLM estime le budget par logement social à 374 500 euros.

Alimentée par certains élus LR, la polémique autour de l’acquisition de l’immeuble avenue George V laisse sceptique jusque dans leur propre camp. La maire LR du 8e arrondissement, Jeanne d’Hautesserre a affirmé à l’AFP que la Ville n’avait « pas perdu d’argent ». « En ce qui nous concerne […], nous ne déboursons rien et les logements sociaux permettront de loger des salariés de l’hôtellerie », a-t-elle déclaré. La livraison des logements est prévue en mars 2028.