Haute-saison du pantouflage politique : rappel des règles
Auteur : Louis Lesigne, master d’études parlementaires et législatives, Aix-Marseille Université
Relecteur/relectrice : Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng et Emma Cacciamani
Avec des ministres plus jeunes et issus de la société civile, les allers-retours entre fonction publique et fonction privée sont toujours plus courants. Face au risque accru de conflits d’intérêts qui en résulte, il existe des règles à respecter, avec une autorité censée jouer les gendarmes, mais sans pouvoir de sanction.
Le 16 mai 2022 au matin : alors que le Premier ministre n’a pas encore posé la démission du Gouvernement, une société spécialisée dans les voitures à l’hydrogène annonce que Jean-Baptiste Djebbari (ex-ministre des transports) a été nommé membre du conseil d’administration de la société. La réaction ne se fait pas attendre chez l’oiseau gazouilleur bleu, où ce pantouflage est vivement critiqué et le potentiel conflit d’intérêts souligné. Tout s’arrange lorsque les internautes apprennent que la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) avait rendu un avis de compatibilité avec réserves, le 22 mars 2022.
Par cet avis, la HATVP a autorisé l’ancien ministre à partir exercer dans le privé, à condition qu’il évite, notamment, d’entrer en relation d’affaires avec des personnes qui auraient été sous son autorité lorsqu’il était ministre, ou avec lesquelles il a été en relation lors de son exercice au Gouvernement. Il peut donc aller travailler dans le privé à condition qu’il n’entre pas en conflit d’intérêts.
Ce passage d’un ancien ministre vers le privé est courant, et il est très probable que d’autres ministres du Gouvernement Castex passeront vers le privé dans les jours et les semaines à venir. C’est la haute-saison du pantouflage ministériel et de son contrôle.
Qu’est-ce que le pantouflage ?
Le pantouflage désigne la pratique de l’agent public quittant l’administration pour intégrer une entreprise privée. Le rétro-pantouflage désigne, à l’inverse, le retour à la fonction publique. Cette pratique peut poser des problèmes déontologiques puisqu’elle peut engendrer de très vastes conflits d’intérêts. Alors qu’elle concerne essentiellement les hauts-fonctionnaires et les conseillers ministériels, la loi de 2013 “relative à la transparence de la vie publique” a aussi encadré le pantouflage de certains acteurs politiques dont les membres du gouvernement. Or, lorsqu’un gouvernement est constitué de membres de la société civile comme c’est désormais souvent le cas, pantouflage et rétro-pantouflage deviennent deux mouvements aussi courants logiques.
Le cadre juridique du pantouflage
La déontologie politique émerge à partir des années 1980 avant de devenir une discipline juridique à part entière en raison des scandales des années 2010 (dont l’affaire Cahuzac est le meilleur exemple). Elle concerne les élus locaux comme les ministres, en passant par les parlementaires ainsi que leurs proches. Elle comprend deux obligations principales : déclarer ses liens d’intérêts afin de prévenir les situations de conflit d’intérêts ; déclarer son patrimoine, afin de mieux lutter contre la corruption.
Défini par la loi, le conflit d’intérêts se caractérise par “toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction”. C’est la situation dans laquelle un responsable politique est soumis à des liens d’intérêts contradictoires l’entrainant à prendre des décisions biaisées. Il y a donc interférence entre un intérêt public (issue d’une fonction ministérielle par exemple) et un autre intérêt public (qui peut provenir d’un précédent mandat par exemple) ou un intérêt privé (des actions dans une société dans le secteur relevant du ministère occupé par l’intéressé par exemple). Très important, la simple apparence d’un conflit d’intérêts suffit à qualifier ce dernier : il n’y a pas besoin d’attendre que l’intéressé agisse en favorisant tel ou tel intérêt.
Parallèlement, le droit pénal sanctionne les conflits d’intérêts. La loi prévoit, entre autres, la prise illégale d’intérêt qui recouvre notamment le fait pour un responsable politique de se placer en situation de conflit d’intérêts dans le cadre de sa fonction. Ce comportement est passible de cinq ans d’emprisonnement et de 500 000 euros d’amende.
Le gendarme du pantouflage
Créée par la loi de 2013, la HATVP est l’organe chargé de contrôler le bon respect de la déontologie dans la vie publique. Dotée d’un statut qui la rend indépendante du pouvoir politique, la HATVP est chargée de recevoir les déclarations de patrimoine des responsables publics et de vérifier leur exhaustivité, leur exactitude et leur sincérité. Elle est aussi chargée de veiller à ce que les différents responsables politiques ne soient pas en situation de potentiel conflit d’intérêts. Si elle détecte une telle situation, elle peut émettre des recommandations afin d’y mettre fin. Bien que dépourvue de pouvoir de sanction, elle peut tout de même publier un avis sur une situation donnée (ce qui peut entraîner l’émergence de campagnes de presse). En plus de la publication, la HATVP peut transmettre des faits au juge pénal qui pourra sanctionner le refus de déclaration ou la fausse déclaration, ou le non-respect des mises en demeure de la HATVP (par exemple de produire les déclarations obligatoires). Elle joue aussi un rôle consultatif auprès des élus locaux et des membres du gouvernement. Elle les conseille ou donne des avis sur certaines situations.
Ces avis sont notamment rendus dans le cadre du contrôle du pantouflage. Il existe trois types d’avis : compatibilité, compatibilité assortie de réserves, incompatibilité. Les réserves ou l’incompatibilité sont valables pour une durée de trois années après la fin des fonctions politiques.
Si on rappelle que la HATVP ne peut pas sanctionner directement les personnes qui ne suivent pas ses avis ainsi que les réserves qui les accompagnent, le non-respect de la déontologie expose tout de même à certains risques : d’abord, la transmission des faits au procureur pour poursuites (délit de pantouflage). Surtout, les actes administratifs qu’un ministre ou tout autre agent public aurait pris en situation de conflit d’intérêts seront considérés comme illégaux par le juge.
À ce jour, la HATVP a publié trois avis au sujet de Jean-Baptiste Djebbari, c’est donc à lui de s’y conformer désormais. À l’exception de membres de cabinets ministériels, aucun autre ancien ministre du Gouvernement sortant n’a, pour le moment, fait l’objet d’avis publié de la HATVP.
Enfin, on remarquera l’absence de déontologie appliquée au Président de la République. En se fondant sur le principe de séparation des pouvoirs, le Conseil constitutionnel à rappelé qu’aucune loi ne pouvait imposer d’obligations au Président et que lui seul pouvait se fixer des règles déontologiques. La Présidence de la République est donc aujourd’hui la seule autorité constitutionnelle à ne pas être soumise à des normes déontologiques.
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