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Ary Abittan, au stade du Parc des Princes à Paris, le 1er février 2020. (Photo : Martin Bureau / AFP)

Brigitte Macron et les « sales connes » : Ary Abittan a-t-il été reconnu « non-coupable », comme l’affirme Julien Odoul ?

Création : 11 décembre 2025

Autrice : Sarah Auclair, doctorante en droit public à l’Université Paris-Est Créteil

Relecteur et relectrice : Jean-Baptiste Thierry, professeur de droit pénal à l’Université de Lorraine

Maylis Ygrand, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste

Source : Julien Odoul sur BFM TV, le 8 décembre 2025

Lors d’un passage sur BFM TV, le député Julien Odoul a affirmé qu’Ary Abittan aurait été reconnu « non-coupable » du viol pour lequel il avait été mis en examen en 2021. Or, l’humoriste n’a pas été acquitté : il a bénéficié d’un non-lieu. Autrement dit, il reste présumé innocent, mais la justice ne s’est jamais prononcée sur son innocence ou sur sa culpabilité.

Innocent ? Invité sur le plateau de BFM TV, le 8 décembre dernier, Julien Odoul, député du Rassemblement national, le martèle : l’humoriste, Ary Abittan, aurait été reconnu « non-coupable » du viol dont il a été accusé en 2021.

Mais ce n’est pas l’avis de toutes les personnes et son retour sur scène fait l’objet de nombreuses contestations. L’humoriste a ainsi vu son spectacle interrompu par plusieurs militantes féministes, samedi dernier.

Le lendemain, Brigitte Macron, venue assister à la représentation, lui apporte son soutien en coulisses et traite les militantes de « sales connes ». Devenue depuis virale, la vidéo de la scène a suscité de nombreuses réactions de la classe politique, dont celle de Julien Odoul.

Sauf que la justice ne s’est pas prononcée sur l’innocence présumée d’Ary Abittan. L’humoriste a en réalité bénéficié d’un non-lieu, et non d’un acquittement. Or, ces deux décisions n’entraînent pas les mêmes conséquences.

Une ordonnance, trois cas de figure

Tout commence en octobre 2021, lorsqu’une femme porte plainte pour viol contre Ary Abittan. Après plusieurs années d’enquête, les juges d’instruction rendent, le 3 avril 2024, une ordonnance de non-lieu.

Ils estiment qu’il n’existe pas de charges suffisantes pour renvoyer l’humoriste devant une juridiction de jugement. La plaignante fait appel, mais la cour d’appel de Paris confirme le non-lieu le 30 janvier 2025, mettant un terme au volet pénal de l’affaire.

Le non-lieu est l’une des issues possibles de l’instruction : en vertu de l’article 177 du Code de procédure pénale, il peut être prononcé si les faits ne constituent aucune infraction, si l’auteur n’est pas identifié, ou, comme ici, s’il n’existe pas de charges suffisantes contre la personne mise en examen.

Selon 20Minutes, les deux juges d’instruction ont estimé qu’il n’y avait pas d’« indices graves ou concordants en faveur d’acte de pénétration sexuelle imposée par violence, contrainte, menace ou surprise ».

Un juge qui ne statue pas sur la culpabilité

Dans tous les cas, l’ordonnance de non-lieu, devenue définitive, est bien une décision juridictionnelle : on dit qu’elle est dotée de l’autorité de la chose jugée. Ary Abittan est donc présumé innocent, comme lors de l’instruction. En effet, en droit, tant qu’une personne n’a pas été déclarée coupable, elle est présumée innocente.

Le non-lieu peut toutefois être remis en cause si des charges nouvelles apparaissent : c’est-à-dire des éléments qui n’avaient pas pu être examinés et qui seraient de nature à renforcer les charges initiales. Dans ce cas, seul le ministère public peut décider de demander la réouverture de l’information.

Contrairement aux dires de Julien Odoul, la justice n’a donc pas déclaré Ary Abittan, non-coupable ou innocent. En effet, le juge d’instruction ne peut statuer sur la culpabilité d’une personne accusée de viol. Cette prérogative revient aux magistrats et magistrates du siège et aux jurés, au terme d’un procès.

Coupable ou non-coupable

Pour qu’il soit déclaré « non-coupable », il aurait fallu qu’il soit acquitté. En matière criminelle, l’article 363 du Code de procédure pénale prévoit ainsi que la cour d’assises ou la cour criminelle départementale peut acquitter l’accusé si elle estime que le fait poursuivi ne constitue aucune infraction ou si la personne accusée est déclarée non-coupable.

Mais attention, la justice le sait bien : elle n’est pas omnisciente. Même lorsqu’un procès a lieu, la décision « non-coupable » ne signifie pas nécessairement que la personne n’a rien fait : elle peut traduire l’incapacité de l’accusation à établir la preuve au-delà du doute raisonnable. Or, le doute profite à l’accusé, c’est un principe fondamental de la justice pénale.

En l’occurrence, dans l’affaire Ary Abittan, la justice a rendu un non-lieu, pas un acquittement. Affirmer qu’il « a été reconnu non-coupable » revient donc à attribuer à cette décision une portée qu’elle n’a pas en droit.

Si la justice conclut à un non-lieu, cette décision s’impose mais elle ne fait d’Ary Abittan ni un coupable ni un innocent. Il reste en revanche présumé innocent et ne peut plus être poursuivi pour ces faits, sauf charges nouvelles apportées au dossier.

Pour autant, rien n’interdit de débattre de la manière dont la justice traite les violences sexistes et sexuelles. Ces infractions sont difficiles à prouver et suscitent des discussions légitimes sur la façon dont les juridictions les appréhendent. C’est pourquoi la loi du 6 novembre 2025 a modifié les éléments constitutifs du viol en y intégrant la notion de non-consentement.

 

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