Axel Kahn : “une mesure administrative faisant que des personnes, au-delà d’un certain âge, d’un certain poids, d’un certain nombre de mois de grossesse, avaient une amende si elles sortaient de chez elle, ce serait anticonstitutionnel”
Dernière modification : 20 juin 2022
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Source : Europe 1, le 16 avril 2020
Déconfiner certaines personnes et pas d’autres à partir du 11 mai n’est pas plus inconstitutionnel que confiner tout le monde maintenant, dès lors que la menace sur la santé publique est réelle et que ce moyen reste indispensable et proportionné au regard de la science médicale.
Axel Kahn met en cause l’idée que le déconfinement pourrait être progressif, par tranches de population en quelque sorte, selon des profils types variant avec l’âge et l’état de santé. Les profils à risques resteraient donc confinés, avec maintien du régime de l’amende.
Si aux Surligneurs nous ne saurions donner de conseils sur la méthode de déconfinement, nous tenons pour chose certaine qu’on ne peut pas faire dire n’importe quoi à la Constitution. Rien dans la Constitution n’envisage de près ou de loin le déconfinement ou encore la distribution sélective de masques, mais il est vrai que cette même Constitution interdit les discriminations : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » (article 1er). Pour autant, il est aussitôt ajouté que « Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Dans « l’utilité commune », on range évidemment les impératifs de santé publique.
La protection de la santé, individuelle comme collective, est même un objectif constitutionnel selon le Conseil constitutionnel (cf. par ex. une décision de 1991, à propos des mesures de lutte contre le tabagisme). Cet objectif justifie des atteintes aux libertés et des discriminations, dès lors que celles-ci sont nécessaires et proportionnées à l’objectif poursuivi (par ex. l’interdiction de certains pesticides en 2016, qui est bien une discrimination au sens juridique). En matière de santé, il est par exemple admis qu’une personne présentant un trouble mental, dangereuse pour elle-même et son entourage, puisse être internée d’office, c’est-à-dire même sans son consentement (Conseil constitutionnel, 2010). La protection de la santé justifie aussi les vaccinations obligatoires (Conseil constitutionnel, 2015), ou le port de la ceinture de sécurité avec amende en cas d’infraction (Conseil d’État, 1982).
En somme, si la protection de la santé suppose, de laisser confinées certaines personnes, rien dans la Constitution ne saurait l’interdire, tant que c’est scientifiquement proportionné. Or il n’est pas besoin de rappeler la gravité du risque du Covid-19, pour tous et pour chacun. Cela signifie que l’atteinte à l’égalité et aux libertés de certaines personnes fragiles sera d’autant plus élevée – et admise – que le danger sera grand. Sur cette question de la proportion, le Conseil constitutionnel, comme le Conseil d’État, refusent de se mettre à la place du législateur ou du gouvernement pour décider quelles sont les mesures à prendre pour la protection de la santé (par ex. Conseil constitutionnel, 2012).Il y a donc peu de chances qu’un déconfinement gradué, même assorti d’amendes, soit regardé comme contraire à la Constitution, au regard de l’objectif vital poursuivi.
Dernière précision : le terme « anticonstitutionnel » employé par Axel Kahn et bien d’autres personnalités s’applique aux idées ou actions contre la Constitution, tendant donc à la supprimer. On ne le trouve dans aucun ouvrage de droit constitutionnel, si ce n’est pour en déconseiller l’usage. Dans le cas présent, il s’agit de dénoncer une mesure qui serait contraire à la Constitution, donc INconstitutionnelle.
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