Attention, les 100 millions d’euros d’aide accordés au Liban par la France ne servent pas à financer le Hezbollah
Dernière modification : 4 février 2025
Auteur : Hugo Guguen, juriste
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste
Source : Compte Facebook, le 20 janvier 2025
Suite à un appel de fonds lancé en octobre 2024 par les Nations unies, la France a annoncé aider le Liban à hauteur de 100 millions d’euros. Pour le moment, la France a versé 28 millions de dollars pour l’aide humanitaire, via des intermédiaires onusiens ou associatifs sans lien avec le Hezbollah. Le gouvernement français n’a pas explicité par quel biais devrait transiter le reste de l’argent pour le moment.
Malgré un cessez-le-feu entre le groupe politique et paramilitaire islamiste libanais et l’État hébreu — entré en vigueur le 27 novembre 2024, après deux mois de guerre ouverte — des internautes accusent Emmanuel Macron de financer le Hezbollah à hauteur de 100 millions d’euros.
« Macron n’a rien à foutre de nos agriculteurs professeurs retraités militaires policiers hospitaliers, rien à foutre du terrorisme, de l’insécurité, de l’immigration, de la FRANCE qui meurt! Mais il débloque 100 millions pour le Hezbollah libanais! », peut-on par exemple lire sur Facebook.
Toutefois, cette affirmation est fausse. Si le président français a bien débloqué une aide de 100 millions d’euros pour le Liban, les fonds alloués ne sont pas à destination du Hezbollah.
Un appel de fonds onusien pour le Liban
Le 1ᵉʳ octobre 2024, un appel de fonds d’une hauteur de 426 millions de dollars est lancé par les différentes agences humanitaires de l’ONU. Cette somme vise à soutenir près d’un million de personnes déracinées suite aux bombardements israéliens au sud du Liban.
« Nous n’avons pas assez de fournitures, nous n’avons pas assez de capacités et c’est exactement pourquoi nous lançons cet appel parce que nous avons besoin de cette injection de fonds supplémentaires pour nous les procurer et de capacités en place pour augmenter la réponse qui n’est pas là où elle devrait être », avait déclaré Jens Laerke, porte-parole du Bureau de coordination de l’aide humanitaire de l’ONU.
Suite à cet appel, la France a organisé le 24 octobre à Paris une conférence internationale de soutien à la population et à la souveraineté du Liban. L’objectif principal de cette dernière était de mobiliser la communauté internationale afin de réunir la somme demandée par les agences humanitaires de l’ONU.
Mission accomplie, suite à la conférence, une aide de 1 milliard de dollars a été annoncée, « dont 800 millions d’aide humanitaire et 200 millions pour soutenir les forces de sécurité du Liban ». Cette aide sera notamment financée à hauteur de 100 millions d’euros par la France, a déclaré Emmanuel Macron, assurant qu’il fallait « abriter les familles, nourrir les enfants, soigner les blessés et continuer d’assurer la scolarité des élèves ».
Néanmoins, le chef de l’État ne précise pas pour autant si l’intégralité des 100 millions d’euros ira à l’aide humanitaire ou si une partie sera utilisée pour « soutenir les forces de sécurité du Liban ». Si cela était avéré, l’aide militaire ne serait pas à destination du Hezbollah mais de l’armée libanaise. En effet, ce soutien additionnel décidé lors de la conférence a pour but « de préserver la paix civile, et de préparer un déploiement massif de l’armée libanaise au sud du pays dans le cadre d’un règlement diplomatique ».
Contacté par Les Surligneurs, Louis-Nicolas Jandeaux, responsable de plaidoyer et de campagne humanitaire de l’association caritative Oxfam France, précise que « les éventuels fonds destinés aux forces militaires libanaises seraient gérés séparément, souvent via des mécanismes bilatéraux entre États ou dans le cadre d’accords spécifiques, et non par des ONG ou agences onusiennes ». Contrairement à l’argent alloué à l’aide humanitaire par la France au Liban qui, lui, est bien encadré par l’ONU.
« Ce sont les Nations unies qui coordonnent généralement ces appels de fonds. Ils sont gérés par des agences spécialisées onusiennes, comme le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, le Programme alimentaire mondial, ou l’UNICEF, et en l’occurrence, ici, le Bureau pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA). Ces agences agissent comme des intermédiaires, en collectant les contributions des États membres, d’organisations internationales et d’autres donateurs », précise Louis-Nicolas Jandeaux.
Une aide servant les besoins des populations déplacées par le conflit
Cette aide exceptionnelle doit viser les personnes déplacées par le conflit entre Israël et le groupe paramilitaire islamiste. Elle doit servir les besoins urgents de la population du Liban, et en particulier des déplacés, dans les secteurs de la santé, de l’alimentation, de l’eau, de l’hygiène et l’assainissement et de l’éducation.
Pour ce faire, les agences de l’ONU ne versent pas directement l’argent aux gouvernements des pays dans lesquels elles aident. Dans le cas du Liban, il y aurait effectivement un risque que le Hezbollah puisse en bénéficier indirectement, en raison de l’intégration du groupe paramilitaire au système politique et de sa présence au sein du Parlement libanais. « Le risque que les fonds versés au gouvernement libanais profitent au Hezbollah est une préoccupation récurrente dans les discussions sur l’aide internationale au Liban », confirme Louis-Nicolas Jandeaux.
C’est pour cela que les financements ne vont pas directement au gouvernement libanais, mais à des intermédiaires. « Généralement, les fonds sont alloués à des partenaires opérationnels, choisis sur la base de leur expertise et de leur conformité aux standards humanitaires internationaux », commente Louis-Nicolas Jandeaux. Ainsi, ces partenaires peuvent être directement des agences onusiennes, mais aussi des ONG internationales ou locales (comme Oxfam, par exemple) ou encore des organisations de la société civile.
Contacté, le quai d’Orsay confirme ces propos en assurant que les contributions humanitaires françaises ont bénéficié aux partenaires traditionnels de la France : « les agences des Nations Unies, le Comité international de la Croix-Rouge, mais aussi des acteurs libanais comme la Croix-Rouge libanaise, des ONG humanitaires françaises et internationales opérant au Liban. »
« L’aide humanitaire financée par les Nations unies ou les donateurs est strictement destinée aux besoins des populations civiles déplacées ou vulnérables », assure le responsable de plaidoyer d’Oxfam France.
« La France a également organisé au travers de plusieurs vols l’acheminement au Liban de plus de 100 tonnes de produits humanitaires de première nécessité (médicaments, kits familiaux, intrants nutritionnels, abris) et du matériel d’ONG partenaires », précise de son côté le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
Une aide strictement encadrée pour éviter qu’elle ne tombe aux mains du Hezbollah
Afin d’éviter tout détournement de cette aide humanitaire par le Hezbollah, de nombreuses conditions et garanties sont imposées. « Les fonds humanitaires sont strictement encadrés, avec des audits fréquents pour minimiser les risques de détournement. De nombreux fonds sont d’ailleurs conditionnés à des garanties strictes concernant leur traçabilité et leur utilisation finale. On peut très facilement remonter aux projets financés, à quoi ils ont servi, etc », précise le responsable de plaidoyer d’Oxfam France.
En effet, il est facile de vérifier le suivi de ce projet grâce au « Financial Tracking Service » de l’appel de fonds onusien. Cette source centralisée de données et d’informations organisées est continuellement mise à jour et entièrement téléchargeable sur les flux de financement humanitaire. « L’aide humanitaire et plus largement l’aide au développement sont sans doute l’une des politiques publiques les plus transparentes de notre pays », conclut Louis-Nicolas Jandeaux.
Sur le site, on est capable de tracer les différents dons. À titre d’illustration, en novembre 2024, la France a débloqué près de 9 millions de dollars auprès du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. En 2025, elle a débloqué 1 million auprès de l’association caritative Lebanese Association for Popular Action dans le cadre de cette aide humanitaire.
Mais alors, la France a-t-elle tenu sa promesse ? D’après les informations disponibles lorsque Les Surligneurs ont consulté le site (27 janvier 2025), la France n’a pas exactement contribué à hauteur de la somme annoncée par Emmanuel Macron. Bien loin des 100 millions annoncés, la France aurait en réalité contribué à hauteur de 28 millions de dollars (environ 26,6 millions d’euros) pour le moment. L’appel de fonds ayant été prolongé jusqu’en mars, la France peut encore y participer.
Mise à jour le 04/02/2025 : ajout de la réponse du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.