Arrêt de l’A69 : les juges ont-ils outrepassé leur rôle ?
Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public, université de Poitiers
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, université Paris-Saclay
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Nicolas Turcev, journaliste
Source : Philipe Folliot, sénateur du Tarn, le 27 février 2025
La décision du tribunal administratif de Toulouse de suspendre les travaux de l’A69 a fait couler beaucoup d’encre. Certaines voix s’élèvent pour dénoncer les juges en charge de l’affaire, qui auraient remplacé les élus et n’auraient aucune légitimité pour remettre en cause ce projet. Quelques explications s’imposent.
Incompréhension de la loi ou remise en cause des juges ? Le sénateur du Tarn, Philippe Folliot, affirme que les juges se sont substitués aux « élus détenant la légitimité du suffrage universel », dans un communiqué en réaction au jugement du tribunal administratif de Toulouse qui a suspendu, le 27 février, les travaux de l’autoroute A69 reliant Castres à la Ville rose.
Selon le parlementaire, « si ce chantier était arrêté, ce serait un terrible précédent qui se dessinerait avec une incertitude chronique sur tous les projets et réalisations d’intérêts publics en France ». En vérité, c’est simplement la loi qui a été appliquée.
En principe, le code de l’environnement interdit de porter atteinte aux espèces protégées et à leurs habitats. Toutefois, il est possible de déroger à cette interdiction si trois conditions cumulatives sont réunies : le maintien des espèces protégées n’est pas menacé, il ne doit pas exister de solution alternative satisfaisante et le projet répond à une raison impérative d’intérêt public majeur, « y compris de nature sociale ou économique ».
L’État de droit a été respecté
En mars 2023, les préfets du Tarn et de Haute-Garonne ont délivré les autorisations de travaux qui dérogent à l’interdiction en justifiant notamment, comme raison impérative, le désenclavement du bassin Castres-Mazamet. La raison impérative pour justifier de déroger à l’interdiction était donc de favoriser l’économie locale. Des recours devant le juge ont alors été portés contre ces autorisations.
Le travail du juge est de trouver l’équilibre entre la protection des espèces protégées et la nécessité impérieuse d’un tel projet. Il ne se substitue pas aux élus, mais applique la loi. En l’occurrence, le juge a déclaré qu’au vu des données socio-économiques du territoire, le projet ne justifiait pas de déroger à l’interdiction de porter atteinte à l’habitat d’espèces protégées.
En aucun cas le tribunal administratif n’a porté de jugement sur le bien fondé du projet d’autoroute, contrairement à ce qu’a pu déclarer François de Rugy sur son compte X. N’en déplaise à l’ancien ministre de l’Écologie, qui n’a peut-être que lu le titre du communiqué de presse du tribunal administratif : l’absence de nécessité impérieuse à réaliser l’A69 signifie que la raison impérative d’intérêt public n’est pas suffisante pour déroger à une interdiction.
Le juge n’a donc pas outrepassé son rôle, mais a fait respecter la loi. Ce qui est attendu de lui dans un État de droit.