A.Schneider83, CC 4.0

Anne Hidalgo veut créer un “service public de la petite enfance”

Création : 3 novembre 2021
Dernière modification : 24 juin 2022

Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Source : Programme, Les 10 premières propositions, proposition 7

Rien de faux dans cette promesse, mais bien des informations manquantes sur le plan juridique. Service public national et donc à la charge de l’État, ou décentralisé et donc à la charge des communes, mais compensé par l’État comme la Constitution le prévoit ? Et qu’adviendra-t-il des emplois du secteur privé des crèches qui s’est développé pour pallier les carences du secteur public ?

L’insuffisance du nombre de places en crèche est criante en France. Cela entrave l’accès au travail pour les femmes, et c’est ce qui a conduit Anne Hidalgo, candidate PS à la Présidence de la République, à promettre de créer, si elle est élue, un “service public de la petite enfance”.

Actuellement, les crèches sont gérées de plusieurs manières : l’essentiel est assuré par les communes (crèches municipales), dans le cadre d’un service public local, facultatif : toutes les communes n’en ont pas les moyens, le besoin ou la volonté. Il existe à côté un secteur privé de crèches, soit à but lucratif (dont le plus connu est Babibou, premier groupe en France, mais aussi les crèches Zazzen ou Montessori), ou à but non lucratif (notamment les crèches d’entreprises ou associatives et les micro-crèches). Toute cette offre ne couvrant que partiellement les besoins, les parents recourent aux assistantes maternelles, système bien plus coûteux et subventionné par la Caisse d’allocations familiales.

Face à cette offre très bigarrée, la réponse consistant à créer un “service public de la petite enfance” n’est pas en soi critiquable juridiquement. Reste que, dit comme cela, c’est insuffisant, et cela ne renseigne pas sur les implications juridiques. Nous avons deux questions pour Anne Hidalgo.

Service public national ou service public obligatoire ?

Un service public national est géré par l’État, qui en assume donc les dépenses (agents publics et moyens matériels), alors que jusque-là les communes étaient seules mises à contribution. Cela signifie que l’État reprendra sous son giron les crèches existantes et surtout qu’il s’engage à en créer d’autres, autant qu’il en faudra. Car service public national signifie aussi égalité devant le service public : toute personne devra avoir accès à ce service public où qu’elle se trouve sur le territoire, à un coût raisonnable. Il faudra donc déployer un réseau de crèches là où, actuellement, il en manque.

Si Anne Hidalgo entend créer un service public obligatoire mais pas national, cela signifie qu’il reviendra aux collectivités territoriales de le mettre en œuvre. Ce sera un service public décentralisé obligatoire. La loi créerait par exemple des quotas de crèches par nombre d’habitants, et il appartiendrait donc aux communes de les construire et d’en financer le fonctionnement. Sachant que le service public des crèches est un des plus coûteux en raison d’une main d’œuvre qualifiée et nombreuse (auxiliaires de puériculture). Autant dire que cela ferait grincer quelques dents chez les élus locaux, qui réclameraient des compensations financières de la part de l’État, comme c’est d’ailleurs prévu par la Constitution : “Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi” (article 72-2). Cette question du coût et du payeur est fondamentale s’agissant de services publics décentralisés.

Quid des crèches privées existantes ?

D’après la Fédération française des entreprises de crèches, qui représente le secteur marchand des crèches privées, 20 000 emplois dans 1900 crèches sont en jeux. Cela, sans compter le secteur associatif, ainsi que les assistantes maternelles.

Créer un service public national supposerait de leur faire un sort, car sinon tous ces emplois disparaîtraient. L’État ou les communes devront-ils les reprendre et en faire autant d’agents publics ? Ou alors le secteur privé sera-t-il associé au service public, par exemple par des contrats de concession de service public, comme cela se fait pour les cantines scolaires ? Ou alors Anne Hidalgo imagine-t-elle un système de contrat d’association, comme il en existe pour les écoles privées sous contrat (il y aurait des crèches sous contrat, de différentes obédiences). Ces crèches sous contrat seraient donc subventionnées par l’État, de façon à en réduire le coût pour les parents. Et comme pour les écoles aussi, il y aurait des crèches hors contrat, de luxe ou très marquées sur le plan idéologique ou religieux. Elles ne bénéficieraient d’aucun financement public, mais devraient tout de même être surveillées par l’État, en raison des risques sectaires, “séparatistes”, d’endoctrinement, voire pire. 

Contacté, le Parti socialiste n’a pas répondu à nos sollicitations.


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