Anne Hidalgo se dit « consternée par la décision incompréhensible de la cour d’appel de Paris » qui a déclaré irresponsable pénalement l’auteur présumé du meurtre antisémite de Sarah Halimi
Dernière modification : 20 juin 2022
Autrice : Audrey Darsonville, professeure de droit pénal, Université Paris Nanterre
Source : Twitter, 19 décembre 2019
Anne Hidalgo se déclare « consternée » par la décision « incompréhensible » de la cour d’appel de Paris dans l’affaire Sarah Halimi. Normal, pour comprendre, il faut la lire.
Le 19 décembre, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a déclaré irresponsable pénalement l’auteur présumé de l’homicide volontaire à caractère antisémite perpétré contre Sarah Halimi en 2017. Les propos d’Anne Hidalgo sont problématiques et ce, pour plusieurs raisons. D’abord, il est toujours étonnant qu’un responsable politique, en l’occurrence la maire de Paris, commente une décision judiciaire non encore définitive puisque, dans le cas d’espèce, les parties peuvent encore former un pourvoi en cassation.
Ensuite, critiquer une décision judiciaire sans avoir eu accès à cette dernière est très discutable car il s’agit alors d’un commentaire sans connaissance réelle du fondement de la décision prise. En outre, Anne Hidalgo évoque dans son tweet « le meurtrier de Sarah Halimi », oubliant ainsi le principe de la présomption d’innocence qui signifie que pour le moment, faute de décision judiciaire définitive sur sa culpabilité, le mis en examen est présumé innocent et ne peut pas être présenté comme un meurtrier.
Consommation d’alcool ou de stupéfiants : circonstance aggravante ou cause d’irresponsabilité pénale ?
Enfin, Anne Hidalgo est « consternée » par cette décision qui, selon elle, « conclut à l’irresponsabilité du meurtrier de #SarahHalimi parce que sous l’emprise du cannabis ». Il n’est pas possible de confirmer ou d’infirmer cette affirmation puisque la décision de la chambre de l’instruction n’est pas accessible au public et que nous ne pouvons donc pas avec certitude connaître le fondement juridique de cette déclaration d’irresponsabilité pénale. Néanmoins, il faut préciser que l’application de la loi pénale ne permet pas de déclarer une personne irresponsable uniquement parce qu’elle aurait consommé des stupéfiants. En effet, deux principes juridiques doivent être rappelés.
En premier lieu, la consommation d’alcool ou de stupéfiants n’est pas une cause d’irresponsabilité pénale mais à l’inverse une circonstance aggravante. Ainsi, l’homicide involontaire est aggravé si l’auteur se trouvait en état d’ivresse ou avait fait usage de substances classées comme stupéfiantes lors des faits (article 221-6-1, 2° et 3° du Code pénal). Il en va de même pour le viol dont la peine est aggravée lorsqu’il est commis par une personne agissant en état d’ivresse manifeste ou sous l’emprise manifeste de produits stupéfiants (article 222-24, 12° du Code pénal).
La justice pénale ne juge pas les personnes totalement dénuées de discernement
En second lieu, l’article 122-1 du Code pénal précise que la personne dont le discernement était aboli lors des faits est irresponsable pénalement. Il s’agit d’un principe ancien selon lequel la justice pénale ne juge pas les personnes totalement dénuées de discernement. Cela ne signifie pas que ces personnes échappent à tout contrôle social, mais ce contrôle s’exercera différemment, par exemple par un internement en hôpital psychiatrique. En revanche, si le discernement était seulement altéré lors des faits, la personne est responsable pénalement mais sa peine sera réduite d’un tiers.
Dans l’affaire Halimi, la chambre d’instruction a retenu l’abolition totale du discernement, sur la base d’expertises psychiatriques. Que le mis en examen ait consommé du cannabis avant le meurtre semble être un fait non contesté. Néanmoins, cela ne signifie pas que c’est cet usage du cannabis qui soit la cause de la déclaration d’irresponsabilité pénale puisque ce serait contraire à la logique du droit pénal qui en fait au contraire une cause d’aggravation. Il est beaucoup plus probable que l’irresponsabilité repose sur l’évaluation de la santé mentale du mis en examen qui serait, indépendamment du cannabis, atteint d’un trouble tel que son discernement était aboli au moment du meurtre.
Anne Hidalgo critique une décision judiciaire prononçant l’irresponsabilité pénale d’un mis en examen car elle l’estime liée à sa consommation de cannabis. Cette critique est problématique car sans avoir accès à la décision qui n’est pas publique, un tel fondement à l’irresponsabilité pénale serait contraire aux règles du droit pénal et semble donc peu crédible.
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