Affaire RSF-ARCOM-CNews : Cyril Hanouna peut-il divulguer des SMS échangés avec l’assistante d’Olivier Faure ?
Dernière modification : 25 février 2024
Auteur : Philippe Mouron, maître de conférences HDR en droit privé, directeur du master droit des médias électroniques, Université d’Aix-Marseille
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle
Si les SMS d’une personne relèvent de sa seule vie privée, leur divulgation par un tiers dans le cadre d’un débat d’intérêt général ne constitue pas une violation de la vie privée. En l’occurrence, il n’y a guère de doute sur le lien entre les SMS en question et le débat sur le pluralisme dans les médias.
L’arrêt du Conseil d’Etat rendu ce 13 février, obligeant l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) à engager une procédure contre CNews, a suscité de vives réactions au sein des chaînes du groupe Bolloré. CNews devrait en effet faire l’objet d’une enquête de l’ARCOM tendant à vérifier si le pluralisme interne en matière politique y est bien respecté, au-delà du seul décompte des temps d’intervention des personnalités politiques. Cette décision du Conseil d’Etat concerne d’ailleurs tous les services de télévision et pas seulement le groupe Bolloré, puisqu’elle repose sur une interprétation de l’article 13 de la loi du 30 septembre 1986, qui a une portée générale.
Malgré cela, les réactions et critiques se sont multipliées de la part des présentateurs phares du groupe. C’est ainsi que Pascal Praud s’est défendu en affirmant que ses invitations étaient systématiquement déclinées par des personnalités telles que Sandrine Rousseau et Jean-Luc Mélenchon, tout en accusant RSF d’être “contre” la liberté d’expression. Cyril Hanouna n’a pas non plus manqué de réagir sur le plateau de TPMP, assurant que ses invitations adressées à certaines personnalités politiques seraient également restées sans réponse, en particulier de la part de Olivier Faure. Et le présentateur de TPMP de divulguer plusieurs SMS échangés avec l’assistante du premier secrétaire du parti socialiste tendant à prouver la réalité de ses allégations. Certains ont alors pu crier à la violation du secret des correspondance et à la vie privée.
Si TPMP est coutumière d’abus exposant la chaîne CNews aux sanctions de l’ARCOM, cette divulgation n’est cependant pas condamnable dans le cas présent.
Débat d’intérêt général contre vie privée
Les conversations échangées par SMS relèvent normalement du secret des correspondances, dont la violation est punie d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 45000 € d’amende. Tel est le cas lorsque le contenu d’un message fait l’objet d’une divulgation, comme cela a pu être le cas sur le plateau de TPMP. Plus généralement, le secret des correspondances est rattaché au droit au respect de la vie privée, protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Pour autant, le même article 8 dispose que le droit au respect de la vie privée subit des atténuations lorsque les divulgations intéressent l’exercice des droits et libertés d’autrui, au rang desquels figurent le droit du public à l’information. C’est particulièrement le cas lorsqu’il est question d’une personnalité politique qui participe d’un débat d’intérêt général. En la matière, le recours à l’exagération ou la provocation est même permis, de tels sujets étant considérés comme d’une importance majeure dans une société démocratique. Aussi, le droit à la vie privée d’un côté et la liberté d’expression de l’autre sont souvent mis en balance, cette balance pouvant pencher en faveur du second.
Quand le débat d’intérêt général l’emporte-t-il sur le droit à la vie privée ?
Afin toutefois de limiter les abus, la Cour européenne des droits de l’Homme (décision du 10 nov. 2015) a fixé une grille de lecture permettant d’apprécier cet équilibre : il faut d’abord examiner concrètement la contribution de la publication incriminée à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de ladite publication, ainsi que les circonstances de la prise des photographies s’il y a lieu. En somme, plus une personnalité est publique, moins elle peut invoquer le respect de sa vie privée et donc le secret de ses SMS.
Il faut ensuite que la divulgation d’informations privées se limite au strict nécessaire pour contribuer au débat public. Elle ne saurait être l’occasion de déballer toute la vie privée d’une personnalité publique, sans que cela ait un rapport avec le débat d’intérêt général soulevé. La Cour de cassation a depuis 2015 adopté cette grille d’analyse, ce qui lui a permis de reconnaître la primauté de la liberté d’expression, notamment dans une affaire où l’émission “Envoyé spécial” de France Télévisions diffusait des photographies aériennes de la résidence secondaire du dirigeant de Lactalis (Cour de cassation, 10 oct. 2019).
Tel a aussi été le cas avec la retranscription et la diffusion de conversations téléphoniques entre Claude Guéant et sa fille (Cour de cassation, 8 décembre 2021), considérées comme relevant du droit du public à l’information au motif qu’elles révélaient l’impact émotionnel ressenti par ce dernier après la publication d’informations sur le financement de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy, dont il était en 2007 le directeur de cabinet au Ministère de l’intérieur. Bien que ces retranscriptions avaient été ordonnées par la justice, et n’avaient donc pas vocation à être publiées, elles révélaient un certain nombre d’éléments sur les relations entre les protagonistes de cette affaire, le lien de parenté entre les correspondants ayant été jugé essentiel pour faire ressortir l’intérêt de ces conversations : l’intimité s’effaçait là encore encore face au droit à l’information du public.
Qu’en est-il des SMS diffusés dans l’émission TPMP ?
Certes, l’émission surfe depuis plusieurs années sur la confusion entre l’information du public sur des sujets d’intérêt général, et le divertissement. Cyril Hanouna est toutefois dans son bon droit.
Le débat soulevé par la décision du Conseil d’Etat sur le respect du pluralisme par CNews constitue en lui-même un sujet d’intérêt général. Aussi est-il normal que l’appréciation du pluralisme interne aux chaînes de télévision soit débattue dans les médias, à commencer par les chaînes du groupe Bolloré, qui sont les principales protagonistes. Les difficultés, prétendues ou avérées, des présentateurs à accueillir des personnalités suffisamment diversifiées méritent d’être discutées, y compris en ayant recours à des informations d’ordre privé, pour peu qu’elles intéressent le débat.
Il est incontestable qu’Olivier Faure constitue, de par ses fonctions, une personnalité politique majeure qui pouvait naturellement être mise en cause, tout comme l’est Cyril Hanouna en tant que présentateur vedette. Enfin, la divulgation des SMS s’est bornée à révéler des informations directement en lien avec le sujet, sans que soient diffusés d’autres éléments relevant de la vie privée.
Pour ces raisons, le respect du secret des correspondances peut bien être mis en échec, sauf à ce que les conversations en cause soient fausses ou aient été échangées avec d’autres personnes, ce qui n’est pas prouvé. Mais à ce moment, on se situera dans un autre registre, celui de la calomnie.
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