François Ruffin souhaite que le “Conseil constitutionnel accepte d’entendre en saisine directe une QPC”
Dernière modification : 24 juin 2022
Auteur : Antoine Lunven, master de droit public approfondi, Université de Bordeaux
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng et Charles Denis
Source : France Bleu, 31 mai 2022
Les questions prioritaires de constitutionnalité ont constitué un grand progrès démocratique, en permettant à tout citoyen de contester les lois au nom de la Constitution. Mais il existe des filtres procéduraux, que seul le Parlement peut supprimer. Ce n’est pas au Conseil constitutionnel de le faire.
D’abord le contexte : l’entreprise de produits de luxe LVMH était poursuivie au pénal, pour une affaire d’espionnage présumé sur François Ruffin : au moment des faits, ce dernier était journaliste à Fakir et réalisateur du documentaire Merci Patron (documentaire sur Bernard Arnault). La loi permet à toute entreprise poursuivie pour des faits d’atteintes à la probité de reconnaître les faits, contre l’abandon des poursuites, moyennant le payement d’une amende. C’est ce qu’on appelle la “convention judiciaire d’intérêt public” (CJIP), qui n’est jamais qu’une “transaction pénale”. C’est ce qu’avait obtenu LVMH, pour éviter ainsi le procès et les potentielles répercussions médiatiques.
François Ruffin veut soumettre la CJIP au Conseil constitutionnel
François Ruffin, désormais député La France Insoumise (LFI), trouve le procédé trop généreux et déplore que LVMH s’en tire à si bon compte à ses yeux, sans passer devant le juge pénal et une éventuelle condamnation. Il dénonce en somme une justice de riches, prévue par la loi. Pour cette raison, il a posé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) devant la Cour d’appel de Paris. Le but : obtenir que cette CJIP, qui découle de la loi dite “Sapin II” de 2016, soit soumise au contrôle du Conseil constitutionnel, en espérant que celui-ci la déclare contraire au principe d’égalité devant la justice (qui est un principe constitutionnel).
Cette QPC fut donc posée à l’occasion du procès opposant François Ruffin à LVMH dans le cadre de l’affaire de soupçons d’espionnage sur lui en tant que réalisateur. La cour a refusé de transmettre cette QPC à la Cour de cassation, et a confirmé l’accord financier passé entre LVMH et la justice française. Débouté de sa demande, le député picard espère “que le Conseil constitutionnel accepte d’entendre en saisine directe une question prioritaire de constitutionnalité portant, précisément, que l’inconstitutionnalité d’une absence de recours”. Autrement dit, il espère que le Conseil constitutionnel se saisira tout seul de sa question prioritaire, malgré le refus de la cour d’appel.
La QPC entendait ouvrir le contrôle de constitutionnalité des lois au citoyen…
Bien que surnommée “question citoyenne“ par Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel, la QPC ne permet pas au citoyen de saisir directement le Conseil constitutionnel pour vérifier qu’une loi est bien conforme à la Constitution. De plus, “le Conseil constitutionnel ne s’auto-saisit pas d’une QPC”, comme l’indique le site internet du Conseil d’État. Cette procédure de contrôle de constitutionnalité a posteriori, c’est-à-dire après la promulgation de la loi, a été introduite à l’occasion d’une révision constitutionnelle de 2008. Elle ne peut être déclenchée que dans certaines conditions très strictes.
… Mais avec des filtres
Il faut distinguer plusieurs étapes dans la procédure de la QPC. Elle peut être posée par une partie (un justiciable) au cours d’un procès quelconque, en première instance, en appel, ou en cassation. Outre les conditions de forme, sur lesquelles on passera, il existe des conditions de fond qui sont des filtres. Parmi ces filtres, nombreux, la loi contestée ne doit pas avoir déjà été déclarée conforme par le Conseil constitutionnel et surtout la QPC doit présenter un “caractère sérieux”, qui lui a manqué dans cette affaire. Le rejet d’une QPC peut faire l’objet d’un appel ou d’une cassation.
Ensuite seulement, si les filtres sont passés, le Conseil constitutionnel dispose de trois mois pour trancher la question prioritaire de constitutionnalité, et peut juger la loi conforme à la Constitution ou dans le cas contraire, estimer qu’elle est non conforme et donc la déclarer inconstitutionnelle. À ce moment, la loi est considérée comme abrogée à une date que fixe le Conseil constitutionnel. Une fois qu’il s’est prononcé , le procès de fond reprend son cours devant le juge initialement saisi.
Par comparaison (que François Ruffin ne goûtera guère), aux États-Unis, n’importe qui peut contester la constitutionnalité de n’importe quelle loi devant n’importe quel juge (ce qui ne signifie pas qu’il gagne toujours son procès).
Donc le Conseil constitutionnel n’accèdera pas à la demande de François Ruffin tout simplement car il n’en a pas le pouvoir. François Ruffin ne peut contester le refus du renvoi de la QPC par la Cour d’appel de Paris que devant la Cour de cassation. Et si celle-ci maintient le refus, la procédure s’arrête là.
Mais rappelons que François Ruffin est député, et qu’il peut déposer une proposition tendant à supprimer cette procédure qu’est la convention judiciaire d’intérêt public. À lui de réunir le nombre de parlementaires nécessaire pour faire voter cette loi, y compris en modifiant la Constitution. S’il n’y arrive pas, ce n’est pas au Conseil constitutionnel de se substituer au Parlement.
Contacté, François Ruffin n’a pas répondu à nos sollicitations.
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