La France a-t-elle “désobéi” à l’Europe sur la règle des 3% de déficit, comme le dit Alexis Corbière ?
Dernière modification : 24 juin 2022
Auteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction: Yeni Daimallah et Loïc Héreng
Source : Les 4 Vérités, France TV, 10 mai 2022
La règle des 3% de déficit public est plus un objectif à atteindre qu’un seuil à ne pas franchir. En réalité, seuls deux États membres ont été en infraction : l’Espagne et le Portugal en 2016. Politiquement, les partis politiques réticents à la dépense publique sont plus enclins à dire qu’il y a infraction dès qu’il y a dépassement. Mais juridiquement, la France n’a jamais été en infraction pour avoir dépassé les 3 % de déficit public.
La règle des 3 % de déficit public a tellement marqué les esprits qu’elle en est devenue une icône presque divine, une règle d’or aussi intangible qu’inflexible. C’est ainsi que la France insoumise affirme qu’à chaque fois que la France a dépassé les 3 % de déficit, qui se calcule par rapport au PIB, elle a enfreint le droit de l’Union européenne.
Alexis Corbière, député LFI, compte ainsi : “Depuis 20 ans, il y a eu au moins 171 désobéissances au niveau européen sur la question des 3% de déficits”. Si ce chiffre est difficilement vérifiable, il peut s’agir du nombre de fois où un État a eu un déficit au-delà de 3 % de son PIB.
En réalité, la “règle des 3 %” est bien plus flexible que ce que beaucoup disent
Mais ce calcul n’est pas tout à fait exact. En réalité, la “règle des 3 %” est bien plus flexible que ce que beaucoup disent. L’article 126 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit qu’un État puisse légèrement dépasser la limite si c’est temporaire et exceptionnel, ou alors si l’État est en voie de réduction substantielle de son déficit. On peut donc avoir temporairement un déficit de 3,5 % du PIB, sans pour autant qu’il s’agisse de “désobéissance”.
Que se passe-t-il si un État dépasse ces taux de déficit ? En réalité, pas grand chose. La Commission européenne peut faire un rapport, et dans les cas les plus graves, le Conseil – qui réunit les États membres – peut décider qu’il y a déficit excessif, et qu’il conviendrait pour l’État de le réduire. Le Conseil peut alors faire des recommandations à l’État pour réduire ce déficit, mais jusque-là, aucune sanction n’est prévue. La France a été en situation de déficit excessif de 2009 à 2018, comme nombre d’autres États à la même période du fait de la crise de la dette qui a éclaté en 2009.
Un gouvernement peut très bien décider, pour des raisons de politique interne, de creuser son déficit au-delà de 3%
Quoi qu’il en soit, cette situation n’est pas juridiquement illégale. Un gouvernement peut très bien décider, pour des raisons de politique interne, de creuser son déficit au-delà de 3%, et d’être mis sous surveillance européenne pour ensuite suivre les recommandations faites par le Conseil pour sortir de cette situation. C’est ce qu’a fait le Portugal en 2016. Le nouveau gouvernement de gauche dirigé par le Premier ministre Costa avait décidé d’investir massivement, ce qui a creusé les déficits, à la suite de quoi le Portugal, grâce à une croissance solide, a pu revenir dans les clous.
Certes, les libéraux en Europe préfèrent considérer qu’être au-delà de 3% de déficit, c’est être en infraction. C’est la position de pays très à cheval sur la discipline budgétaire comme les Pays-Bas ou l’Autriche. C’est aussi la position du Comité budgétaire européen, un think tank composé d’économistes qui conseille la Commission européenne, et qui considère qu’en 20 ans (1999-2019) les États n’ont pas respecté la discipline budgétaire pendant la majorité du temps (75 % du temps pour la France).
Quand la situation devient-elle donc illégale ?
Là où la situation devient illégale, c’est lorsqu’un État en déficit excessif refuse d’appliquer les recommandations du Conseil. Dans ce cas, le Conseil peut mettre l’État à l’amende. C’est arrivé deux fois dans l’histoire : en 2016, Portugal et Espagne ont écopé d’une sanction de… 0 euros. Pour la Cour de justice de l’Union européenne, cette amende qui peut être décidée constitue bien une sanction, comme l’a dit la Cour de justice de l’Union européenne dans une décision en 2004… à propos de la France et de l’Allemagne (voir le paragraphe 77). Avant, ce ne sont que des étapes de coordination des politiques économiques.
Juridiquement parlant, les 3 % sont plus un objectif qu’un seuil à ne jamais franchir.
Ce qui est curieux, c’est que La France insoumise, tenante d’un creusement du déficit public, reprenne à son compte l’argumentation des libéraux sur ce qui doit être considéré ou pas comme une infraction, alors qu’elle pourrait au contraire faire entendre sa voix pour rappeler que la discipline budgétaire européenne n’est pas si rigide que ça.
Contacté, Alexis Corbière n’a pas répondu à nos sollicitations.
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