Le maire et la vidéoprotection de la voie publique : conditions, utilité, contrôle

Création : 17 novembre 2021
Dernière modification : 24 juin 2022

Auteur : Jean-Philippe Siebert, master Métiers de l’administration, Université de Haute-Alsace

Relectrice : Karine Favro, professeure de droit public, Université de Haute-Alsace

Pression de l’État sur les maires pour installer de la vidéoprotection : étendue et limite des pouvoirs des maires

Suite à la terrifiante attaque contre des policiers perpétrée à Lyon le 25 octobre, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a interpellé le maire de Lyon Grégory Doucet au sujet de la vidéoprotection, selon lui insuffisamment développée dans les rues de la ville. L’édile écologiste a vivement répondu au locataire de la Place Beauvau que ce système de sécurité était bien opérationnel. Les années passant et la demande de sécurité des administrés augmentant, les maires se retrouvent au centre des problématiques de sécurité publique. La question des caméras de surveillance revenant dans le débat à chaque fait divers d’ampleur, et ne se limite pas à des aspects techniques : il s’agit de police, et donc d’atteinte aux libertés : quels sont les droits et obligations des maires en matière de vidéoprotection ?

Une pratique fortement encouragée par l’État

Leurs pouvoirs de police ont rarement été autant sollicités qu’actuellement pour rechercher des solutions améliorant la sécurité publique. L’État lui-même actionne ce levier au travers des contrats de sécurité intégrée : par ces contrats, il propose des moyens humains et logistiques supplémentaires (renforcement des effectifs de policiers ou gendarmes, subvention pour l’acquisition de locaux – centre de vidéoprotection, vestiaires pour les agents, etc.) contre un effort  des autorités locales en matière de sécurité publique, notamment en matière de vidéoprotection ; une pratique sujette à caution.

Les dispositifs de vidéoprotection, qu’il ne faut pas confondre avec la vidéosurveillance, s’inscrivent depuis le début des années 2000 dans le plan ambitieux d’une sécurité publique technologique et renforcée, lui-même inclus dans la modernisation et la numérisation de la République. La nouvelle dénomination de “vidéoprotection” souhaitée par Nicolas Sarkozy visait à séduire de nouveaux acteurs publics et privés en insistant sur la nature “protectrice” du système et en éliminant toute connotation orwellienne.

En dépit des efforts pédagogiques consentis par l’État pour promouvoir la vidéoprotection, cette pratique rencontre toujours des oppositions, inquiètes d’une possible “surveillance de masse”. Reste que la vidéoprotection rencontre un large succès dans tous les territoires où elle est considérée comme un remède contre l’insécurité. Son expansion dans de nombreuses communes tend à compléter l’arsenal des pouvoirs de police du maire.

Un outil de police devenu indispensable

Le Code de la sécurité intérieure autorise les autorités publiques à mettre en œuvre un système de vidéoprotection sur la voie publique aux fins d’assurer notamment “la protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords et la prévention des atteintes à la sécurité des personnes ou des biens dans les lieux particulièrement exposés à des risques d’agression ou de vol ou de trafic de stupéfiants”. Aux yeux du législateur, l’installation de caméras constitue donc un outil de police administrative, qui consiste à anticiper les comportements illégaux. De l’avis de nombreux maires, la vidéoprotection présenterait en effet un effet dissuasif

La vidéoprotection facilite également les missions de police judiciaire, qui consistent à rechercher et appréhender les auteurs d’infraction et à les réprimer au besoin, en les identifiant à partir des images conservées. Dans le cas du fait divers lyonnais, survenu dans un quartier réputé très criminogène, la vidéoprotection aurait pu selon le ministre de l’Intérieur dissuader les fauteurs de trouble, ou à défaut, donner aux enquêteurs la possibilité de les confondre. C’est pourquoi les préfets, chacun sur leur périmètre départemental respectif, incitent fortement les communes à développer cette technologie. Les caméras ont démontré leur utilité dans des affaires parfois retentissantes, comme lors de l’attentat du marché de Noël de Strasbourg en décembre 2018 : elles constituent un volet numérique de la sécurité publique.

Les forces de l’ordre bénéficient pleinement de la vidéoprotection puisqu’elles peuvent, selon la loi, accéder aux enregistrements de plein droit en cas d’infraction perpétrée, sur simple demande. L’exploitation des données de vidéoprotection est réservée aux seuls officiers de police judiciaire (OPJ) ainsi qu’aux magistrats ; une réquisition émanant d’un adjoint de police judiciaire (APJ) sans aval d’un OPJ serait donc rejetée.

Un outil tout de même encadré face aux possibles excès

D’abord, le recours à la vidéoprotection ne peut découler de la seule décision du maire : le conseil municipal doit avaliser l’installation de caméras sur le territoire communal, ce que le Conseil d’État a rappelé récemment

Ensuite, l’installation des dispositifs de vidéoprotection est soumise à un régime d’autorisation préalable donnée par les services préfectoraux après avis de la commission départementale de vidéoprotection. Cette commission recueille l’avis des services de sécurité intérieure sur le nombre de caméras, leurs emplacements, la pertinence du périmètre concerné, ce qui permet à la commune de procéder aux éventuels ajustements recommandés. Sans aval du préfet compétent, la commune ne peut donc pas exécuter son projet de vidéoprotection. Si elle passe outre l’autorisation du préfet, elle sera dans l’illégalité.Enfin, l’autorisation d’installer un dispositif de vidéoprotection est valable cinq ans avec possibilité de la renouveler. La commission départementale de vidéoprotection appréciera dès lors l’état des facteurs ayant motivé l’implantation des caméras (vols, violences, trafics…) pour apprécier la pertinence de leur maintien. Généralement, ce diagnostic reste une simple formalité

Qui est autorisé à filmer la voie publique, puis à visionner les images ?

Seules les autorités publiques (État, collectivités territoriales dotées d’un pouvoir de police) peuvent filmer la voie publique : ce pouvoir ne peut pas se déléguer à des personnes privées. En effet, les entreprises et les établissements publics ne peuvent que filmer les abords immédiats de leurs bâtiments et installations, dans les lieux exposés à des actes de terrorisme ou de criminalité.

La décision de recourir à la vidéoprotection peut en outre émaner d’un procureur de la République qui peut faire procéder à l’installation de caméras sur la voie publique aux fins de rechercher la preuve des infractions à la loi pénale. Cette hypothèse d’une vidéoprotection temporaire pour les besoins du travail judiciaire a été validée récemment par la justice.

La faculté de visionner les enregistrements des caméras est réservée à des agents spécialement habilités. Cet accès est attribué de façon individuelle et nominative.

C’est l’autorisation préfectorale qui désigne les personnes autorisées, dans le cadre de leurs fonctions, à visionner les images de vidéoprotection. Elles doivent être formées et sensibilisées aux règles de mise en œuvre d’un système de vidéoprotection.

La protection des données : des précautions avant la pose des caméras…

La protection des données et de la vie privée des individus est assurée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), qui procède de deux manières. Une analyse préalable d’abord, par laquelle la CNIL s’assure que le positionnement des caméras ne conduit pas à filmer des espaces privés comme l’intérieur des habitations. Elle impose également l’installation de panneaux signalant aux passants qu’ils pénètrent dans une zone vidéo-protégée ; sur ces tableaux d’information doivent figurer les coordonnées du responsable de la vidéoprotection ainsi que les droits de la personne filmée. Enfin, avant de permettre la mise en service des caméras, la Commission exige (sauf dans certains cas) une analyse d’impact relative à la protection des données (AIPD) afin d’une part de repérer l’existence de risques importants d’atteinte à la vie privée, d’autre part d’assurer la conformité du projet de vidéoprotection avec le règlement général sur la protection des données (RGPD).

…et une fois les caméras opérationnelles

Une fois la mise en service effectuée, la CNIL n’est pas dessaisie pour autant : elle vérifie que les conditions qu’elle a posées sont bien respectées. 

Elle veille aussi au traitement correct des données enregistrées par les caméras : leur conservation ne doit pas excéder la durée légale d’un mois, et toute diffusion publique des images est interdite. 

Toute personne peut accéder aux enregistrements la concernant et en vérifier la destruction véritable et définitive. Exceptionnellement, cette destruction peut être refusée et/ou retardée pour les motifs suivants : sûreté de l’État, défense, sécurité publique, lors d’une instruction judiciaire en cours ou encore pour protéger le secret de la vie privée d’autres personnes.

Un fait divers majeur rappelle toutefois que la préservation confidentielle des images de vidéoprotection n’est jamais garantie. Lors de l’affaire Benalla, des enregistrements auraient été remis au principal intéressé par des policiers, manifestement non habilités à visionner les images. L’Elysée avait également reçu ces documents, dont le caractère confidentiel semble bafoué par les autorités policières.

Les personnes qui ont été filmées peuvent demander au juge d’ordonner la suppression des données si elles estiment qu’il y a un abus. Plus globalement, les juridictions peuvent être saisies à propos de l’existence même du système de vidéoprotection afin d’en apprécier l’utilité. Les juges n’ont pas jusqu’à présent remis en cause ces dispositifs sauf disproportion manifeste entre nécessité de l’ordre public et atteintes excessives aux libertés individuelles.

La CNIL possède enfin un pouvoir de sanction qui peut se traduire par des amendes frappant les autorités publiques négligeant les règles en vigueur.

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