Réserver les logements sociaux aux Français en dépit du principe d’égalité : la promesse de Marine Le Pen qui interroge
Dernière modification : 24 juin 2022
Auteur : Clément Baillon, master de droit économique, Sciences Po
Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit public, chercheur associé au laboratoire VIP, Université Paris-Saclay
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Source : Le Monde, 24 septembre 2021
En l’état du droit, cette préférence nationale pour les logements sociaux semble contraire à la Constitution. Sans compter les obligations de la France à l’égard des étrangers ressortissants de l’Union européenne.
Marine Le Pen, candidate du Rassemblement national à la présidence de la République, souhaite instaurer une préférence nationale dans l’accès au logement social : les Français y auraient accès prioritairement par rapport aux étrangers. Lors d’un déplacement à Hayange en Moselle, Marine Le Pen a justifié sa proposition par le fait que “le logement social étant financé par les Français, il est logique qu’il soit réservé d’abord aux Français en difficulté”. Quel est le problème juridique de cette promesse politique ?
Pour obtenir un logement social, il faut aujourd’hui satisfaire plusieurs conditions. La loi prévoit que l’attribution des logements sociaux se fait en fonction du patrimoine, de la composition de la famille, du niveau de ressources, des conditions et de la situation géographique du logement actuel du foyer du demandeur. Les demandeurs qui ne sont pas français doivent résider régulièrement en France, de façon permanente, ce qui se matérialise par un titre de séjour de longue durée. La proposition de Marine Le Pen nécessiterait donc de modifier la loi pour ajouter un critère de nationalité qui donnerait une priorité aux Français.
Pour traiter différemment les étrangers, il faut une différence de situation
En France, le principe d’égalité a une valeur constitutionnelle et protège aussi les étrangers : cela signifie que les lois doivent être conformes à ce principe, sous peine d’être censurées par le Conseil constitutionnel. Cela n’interdit pas les différences de traitement, mais celles-ci doivent répondre à trois conditions régulièrement rappelées par le Conseil constitutionnel.
Première condition, il faut prouver que les étrangers sont dans une situation différente de celle des Français, par rapport au service public du logement social. Dès lors que ce service public sert à fournir un logement décent à ceux dont les moyens sont insuffisants, on voit mal ce qui fait la différence entre un étranger en situation régulière aux faibles revenus et un Français aux faibles revenus.
Deuxième condition, la différence de traitement doit être en rapport direct avec l’objectif de la loi. Or le service public du logement social a vocation à loger des personnes aux bas revenus, pas à réguler les flux migratoires (même si on peut rappeler que les logements sociaux ont servi dès les années 1960 à héberger les nombreux étrangers que la France avait fait venir pour travailler dans les usines).
Troisième condition, un intérêt général peut justifier des différences de traitement. Or, la “préférence nationale”, ou la réduction de l’immigration, n’a jamais été considérée comme d’intérêt général par le Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel pourrait-il changer d’avis ?
Le Conseil constitutionnel ne reconnaît pas à l’heure actuelle de différence
De plus, dans une décision de 1993, le Conseil a jugé que “les étrangers jouissent des droits à la protection sociale, dès lors qu’ils résident de manière stable et régulière sur le territoire français”. C’est logique, puisqu’ils paient leurs impôts et cotisent comme les Français, contrairement à ce qu’affirme Marine Le Pen lorsqu’elle dit que le logement social “est financé par les Français” et non par les étrangers. Le logement social pourrait être reconnu comme faisant partie de la protection sociale au sens large. Par ailleurs, “la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle”. Une entrave forte du droit des étrangers en situation régulière à accéder au logement social pourrait ainsi être regardée comme contraire aux droits à la protection sociale ou, à tout le moins, à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accès à un logement décent.
Les Européens bénéficient d’une protection double
Une catégorie de personnes est plus spécialement protégée : les ressortissants de pays appartenant à l’Union européenne, en tant que citoyens européens.
En effet, le droit de l’Union protège le droit de tout citoyen européen de s’installer dans un État membre pour y travailler, sans subir de discrimination en fonction de sa nationalité. La Cour de justice de l’Union européenne a même jugé que l’exercice d’une activité professionnelle suppose la possibilité de se loger dans le pays en question. Les ressortissants européens doivent donc pouvoir se loger dans les mêmes conditions que les nationaux. Instaurer une préférence nationale vis-à-vis des ressortissants d’autres États membres de l’UE serait donc contraire au droit européen.
En somme, réserver les logements sociaux aux Français suppose de modifier les traités européens, mais aussi sans doute, de réviser la Constitution. Il serait utile que Marine Le Pen précise comment elle compterait s’y prendre si elle était élue.
Contactée, Marine Le Pen n’a pas répondu à nos sollicitations.
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