3/3 Le chemin étroit du licenciement des salariés “suspendus” pour non-vaccination ou sans passe
Dernière modification : 24 juin 2022
Auteur : Pascal Caillaud, chargé de recherche CNRS en droit social, Laboratoire Droit et changement social, Université de Nantes
Le projet de loi initial relatif à la gestion de la crise sanitaire prévoyait la rupture du contrat de travail des professionnels non vaccinés ou sans passe, après une suspension de ce contrat pendant 2 mois. Mais les débats parlementaires ont fait évoluer le texte vers la seule suspension, comme on l’a déjà vu.
Interviewée par BFM-TV, le 27 juillet, la ministre du Travail, Elisabeth Borne, a toutefois prévenu : « cela ne veut pas dire qu’il ne peut pas y avoir de licenciements ». Alors, un licenciement est-il possible ?
Non présentation des justificatifs du “passe sanitaire” : pas de licenciement !
La situation est claire concernant la non présentation d’un passe sanitaire, depuis la décision du Conseil constitutionnel du 5 août : cette situation ne justifie pas un licenciement.
En effet, la loi votée par le Parlement prévoyait la rupture avant terme des CDD ou des contrats d’intérimaires ne présentant pas les justificatifs requis pour le passe sanitaire. A l’initiative de l’employeur, cette rupture devait suivre la procédure du licenciement pour motif personnel.
Or, le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition : dans les travaux préparatoires du texte, le législateur avait exclu que cette non-présentation puisse être une cause réelle et sérieuse de licenciement d’un salarié en CDI : puisque le passe sanitaire vise à limiter la propagation de l’épidémie de Covid-19 pour les salariés travaillant dans certains lieux et établissements, cela signifie que tous sont exposés au même risque de contamination ou de transmission du virus, quelle que soit la forme de leur contrat. CDI, CDD ou intérim… une différence de traitement selon la nature du contrat n’est donc pas justifiée. Licenciement pour personne !
Refus de la vaccination obligatoire : un licenciement possible mais pas pour faute du salarié
On a déjà vu qu’avant l’épidémie de Covid, le refus d’une vaccination obligatoire professionnelle constituait une cause réelle et sérieuse de licenciement. Deux conditions : une vaccination imposée par la réglementation et une absence de contre-indication médicale.
Ces conditions sont bien présentes dans la loi du 5 août 2021 : cette jurisprudence est donc applicable dans le cas de la vaccination obligatoire contre le Covid.
Ainsi que nous l’avons présenté, une cause réelle et sérieuse de licenciement ne signifie pas forcément qu’il y a faute du salarié, et encore moins une faute grave comme l’a déjà précisé la justice à deux reprises en 2009 et 2012. Les conséquences sont importantes puisque dans un tel cas de figure le salarié conserve son préavis et ses indemnités de licenciement.
S’il peut donc envisager le licenciement, l’employeur a toutefois l’obligation au préalable d’assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail ou de veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi. Avant se posera d’abord la question de l’affectation du salarié dans l’entreprise sur un poste ne l’exposant pas aux risques de la maladie pour laquelle la vaccination est imposée. En cas de non-respect de cette obligation, le licenciement sera illégal.
Vaccination sur le temps de travail : un droit du salarié
Selon la loi du 5 août, les salariés bénéficient d’une autorisation d’absence pour se rendre aux rendez-vous médicaux liés aux vaccinations contre la covid-19. Cette autorisation bénéficie aussi aux stagiaires et aux agents publics et s’adresse aussi à ceux qui accompagnent un mineur ou un majeur protégé dont ils ont la charge. Pour justifier cette autorisation, l’employeur peut demander au salarié la confirmation du rendez-vous avant celui-ci ou le justificatif de la réalisation de l’injection, après.
Non seulement, il n’y a pas de faute mais ces absences n’entraînent aucune diminution de la rémunération. Ces absences sont même assimilées à une période de travail effectif pour les congés payés ou tout autre droit lié à l’ancienneté. Ces heures n’ont donc pas à être récupérées.
Que risque le salarié s’il travaille pour une autre entreprise pendant la suspension de son contrat ?
La suspension du contrat de travail, sans salaire ou indemnités-chômage, pose évidemment la question des revenus du salarié pendant cette période. Peut-il travailler pour un autre employeur, dans le cadre d’une activité non soumise à passe sanitaire ou à vaccination obligatoire ?
La suspension du contrat entraîne celle des principales obligations qui y figurent, mais d’autres demeurent. De façon générale, même pendant cette période, le salarié a toujours une obligation de loyauté envers son employeur. Mais travailler pour le compte d’un autre employeur n’est pas forcément un manquement à cette obligation : si le salarié ne travaille pas pour un concurrent de son employeur, il ne peut pas être licencié… sauf si l’employeur prouve qu’il subit un préjudice.
Qu’en est-il si le contrat comporte une clause d’exclusivité ? Dans une telle clause, le salarié s’engage à être au service exclusif de l’entreprise et s’interdire de travailler pour tout autre employeur. Sauf s’il s’agit de créer ou reprendre une entreprise, cette clause s’applique pendant une suspension du contrat de travail (arrêt de travail, congé sabbatique…) et donc dans le cas d’une suspension liée à la loi du 5 août.
Mais à supposer qu’une telle clause soit présente dans le contrat du salarié suspendu pour non-vaccination ou absence de passe, elle doit encore respecter plusieurs conditions qui, à défaut, peuvent la rendre “nulle”, c’est-à-dire inapplicable : la clause doit être justifiée par la nature de la tâche, indispensable à la protection des intérêts de la société et être rédigée dans des termes précis pour être justifiée et proportionnée.
Inenvisageable pour défaut de passe, sous conditions pour non-vaccination obligatoire, le licenciement des salariés suspendus reste une éventualité limitée. Les suspensions de contrats seront probablement la voie privilégiée par les employeurs jusqu’au 15 novembre, échéance de la loi du 5 août, en attendant d’en savoir plus.
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