Loi russe sur l’appellation champagne : l’AOC française trinque

Création : 16 août 2021
Dernière modification : 24 juin 2022

Autrice : Léon Gautier, rédacteur

Relecteur : Arnaud de Nanteuil, professeur de droit public à l’Université Paris-Est-Créteil

Vendredi 2 juillet, Vladimir Poutine a donné son feu vert à l’adoption d’un amendement sur la loi qui réglemente les boissons alcoolisées en Russie. Désormais, seuls les producteurs russes auront le droit d’inscrire le mot “champagne” sur leurs étiquettes. Une sorte d’appellation d’origine contrôlée (AOC) à la sauce russe. Une AOC pourtant déjà protégée en France. 

Le principe de l’AOC est de protéger des savoir-faire issus de terroirs particuliers. À l’échelle européenne, il existe une protection identique : l’AOP. Mais à quoi peut bien servir une AOP, censée préserver les savoirs-faire locaux, si au moment où les Russes contestent notre monopole nous ne pourrions rien faire ?

Quel rôle de l’OMC ?

Au niveau international, l’institution qui réglemente le commerce de marchandises entre États est l’Organisation mondiale du commerce (OMC), une enceinte dans laquelle les membres négocient entre eux les droits de douane qu’ils appliqueront aux marchandises qu’ils échangent. Mais au sein de ces marchandises, les produits issus de savoir-faire locaux tels que les AOP bénéficient d’un statut à part protégé par le régime de la propriété intellectuelle.  

L’OMC assure en effet le respect d’un autre accord que l’accord sur les marchandises, c’est  l’accord sur la propriété intellectuelle. Selon son article 23, un État membre doit empêcher l’utilisation d’une AOP “pour des vins qui ne sont pas originaires du lieu indiqué par l’indication géographique en question”. 

En clair, c’est à l’Union européenne – membre de l’OMC –, si elle veut protéger son champagne, de faire le nécessaire. Pour cela, elle devra montrer que la loi russe contrevient aux règles de l’OMC que la Fédération de Russie s’est engagée à respecter en en devenant membre à part entière. 

Le ministre français de l’Europe et des affaires étrangères, M. Le Drian, s’est d’ailleurs exprimé à ce sujet le 6 juillet à l’Assemblée nationale : si la France est encore dans l’attente des conséquences de la loi russe, elle se tient prête à agir au niveau bilatéral, européen voire devant l’OMC en cas de violation des règles commerciales.  

Des sanctions sont-elles envisageables ?

Ce que prévoit l’OMC, en termes de sanctions, dans le cas où la Russie ne respecterait pas l’AOP française pour le champagne, c’est d’adopter des mesures équivalentes côté français aussi appelées “contre-mesures”. Ainsi un des moyens principaux pour défendre l’appellation “champagne” serait de ne pas respecter une éventuelle appellation d’origine russe comme l’eau minérale Narzan ou les pains d’épices Tula pryanik, de manière à pouvoir exercer une sorte de réponse proportionnée à la provocation russe.

L’Union pourrait donc engager un bras de fer sur l’AOP, elle ne s’est d’ailleurs pas privée de lancer des procédures contre les pays dans le monde qui portent atteinte à ses intérêts. Elle l’a fait à plusieurs reprises contre la Russie, par exemple pour contester l’interdiction d’importation de porcins après une épidémie de peste porcine. 

Mais quel est l’intérêt d’un tel affrontement ?

Une des luttes commerciales les plus connues que l’Union a engagé dans le cadre de l’OMC est celle entre Airbus et Boeing sur des questions de subventions publiques que chacun a octroyées à son champion aéronautique. Le résultat a été une saga judiciaire de 17 ans au cours de laquelle les protagonistes ont perdu du temps et de l’argent. Si personne n’en est réellement sorti gagnant, la procédure de l’OMC a permis un dialogue entre les protagonistes. Ce dialogue a permis d’éviter le blocage d’un marché qui fait vivre des milliers de personnes. L’OMC a donc pleinement joué son rôle : l’organisation a fait respecter ses règles en privilégiant le dialogue et la diplomatie. 

Tout porte donc à croire que c’est aussi sur le terrain diplomatique que la bataille du champagne se jouera. Quoiqu’il en soit, les fabricants français  ont décidé de s’adapter et de modifier leur étiquetage. Dès lors, les riches oligarques russes n’arrêteront sans doute pas de boire du Veuve Clicquot ou du Dom Pérignon quand bien même le mot “champagne” aurait disparu des étiquettes. 

Dans ce domaine, les marques des grandes maisons champenoises se suffisent à elles-mêmes, si bien que ceux qui pourraient le plus en pâtir sont les petits producteurs souvent méconnus. Malgré la finesse de leurs bulles, les petites structures seront les plus impactées par l’effervescence nouvelle créée par cette loi.

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