20 généraux en retraite “Pour un retour de l’honneur de nos gouvernants” : un délit ?
Dernière modification : 22 juin 2022
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris Saclay
Source : Valeurs actuelles, 21 avril 2021
Beaucoup de bruit pour rien ? Rien en tout cas qui ressemble juridiquement à un appel à coup d’État dans ces propos rigoureusement pesés et millimétrés. Fins tacticiens, les 20 généraux sont quand même un peu “borderline” sur un autre délit, celui d’incitation à la haine raciale. Seule chose sûre, ils commettent une faute disciplinaire.
En termes de “buzz”, c’est réussi, et les réactions sont fortes. La plus virulente est probablement celle du député LFI Jean-Luc Mélenchon qui, sur la base de l’article 40 du Code de procédure pénale, dit avoir saisi le procureur de la République contre les signataires (on note au passage que c’est le même Jean-Luc Mélenchon qui tweetait dans un contexte de heurts entre Gilets jaunes et forces de l’ordre, que « l’insurrection est un droit et un devoir »). L’article 40 du Code de procédure pénale oblige toute autorité publique, tout agent public, à dénoncer tout comportement criminel ou délictueux. Le Procureur est donc saisi, et devra, s‘il estime qu’il y a effectivement crime ou délit, saisir le juge pénal pour instruction et jugement.
Un appel au coup d’État ? Au pire une incitation à la haine raciale, et encore
La question ainsi posée et reprise par bien d’autres est donc : la tribune en question, intitulée “Pour un retour de l’honneur de nos gouvernants”, rédigée par un quarteron de généraux en retraite, est-elle contraire aux articles L 412-4 et L 412-6 du Code pénal, ces deux textes punissant le fait de participer à un mouvement insurrectionnel ou de l’encourager ?
En d’autres termes, la tribune en question constitue-elle un appel à l’insurrection, et en l’occurrence un appel au putsch militaire ? On y trouve un discours classique de déclinisme sombre, teinté de relents nationalistes et sécuritaires, si largement répandu dans certains médias qu’il faudrait alors incarcérer bien des chroniqueurs et twitteurs invétérés. Une phrase précise a toutefois pu être interprétée comme un appel au coup d’État : “si rien n’est entrepris, le laxisme continuera à se répandre inexorablement dans la société, provoquant au final une explosion et l’intervention de nos camarades d’active dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national”. Est-ce véritablement une incitation à quoique ce soit, ou simplement du catastrophisme de bistrot aux mots soigneusement pesés ? Quelle différence entre cette affirmation et celle du pilier de bar s’exclamant : “vous verrez, ça finira mal tout ça !” ? En tout état de cause, un juge n’aurait pas le droit d’aller lire entre les lignes pour trouver un délit à tout prix. L’appel implicite au coup d’État paraît bien difficile à extrapoler juridiquement de cette tribune, même si médiatiquement c’est un succès.
Cela précisé, il y a quand même dans cette tribune quelques propos qui mériteraient d’être examinés au regard d’autres articles du Code pénal, réprimant l’incitation à la haine raciale : qui sont ces “hordes de banlieue” ? “Horde” désigne aussi bien des tribus nomades que des groupes de pilleurs violents. Et lorsqu’on lit ensuite que ces “hordes” diffusent des “dogmes contraires à notre Constitution”, et empêchent “chaque Français [d’être] partout chez lui dans l’Hexagone”, on comprend mieux l’appel à la protection de “nos valeurs civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes”. Mais là encore, il faut lire entre les lignes et le délit est difficile voire impossible à constituer. C’est fait pour. Marine Le Pen l’a d’ailleurs bien compris. Contacté, Jean-Pierre Fabre-Bernadac, un des généraux signataires de la tribune, n’a pas répondu à nos questions.
Un délit, non, une faute, certainement
Reste que ces anciens généraux ont enfreint l’article L 4121-2 du Code de la défense sur le devoir de réserve des militaires, qui s’applique aussi à ceux d’entre eux qui, bien que n’étant plus militaires actifs, “sont maintenus à la disposition du ministère de la Défense”. Pour ceux des signataires de la tribune qui sont dans cette position de réserve, ils risquent la radiation pour faute disciplinaire, et perdraient alors la solde de réserve à laquelle ils avaient droit.
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