Certificat Covid numérique : le Parlement européen adopte un outil inédit dans l’histoire de la construction européenne
Dernière modification : 22 juin 2022
Auteur : Paul Bruna, rédacteur droit privé
Rédacteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au laboratoire VIP, Université Paris-Saclay
En mars 2020, des épidémiologistes envisageaient déjà que le virus pourrait affecter nos vies pendant de longs mois. Un an après, force est de constater que la crise est toujours présente : sanitaire, économique, budgétaire, mais aussi juridique, avec son lot de privations de libertés et de mesures exceptionnelles pour tenter de freiner la circulation du virus et de ses variants.
Plus d’un an après, l’Union européenne et ses États membres ne veulent pas d’un été sans tourisme, ni d’une rentrée à l’automne bridée par les restrictions de circulation. L’idée a donc émergé – le gouvernement grec, mais aussi la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen – d’un passeport vaccinal permettant à ceux qui sont immunisés contre le Covid-19 de pouvoir circuler librement en Europe.
Depuis février en effet, l’idée a fait son chemin pour que finalement, le 17 mars, la Commission européenne présente son projet de “certificat vert numérique ”, avec pour objectif un outil prêt dès le mois de juin, un temps très court. Ce mercredi 9 juin 2021, le Parlement européen a finalement approuvé en session plénière le certificat, rebaptisé “certificat Covid numérique”. Il ne reste qu’une étape avant qu’il ne soit applicable dans toute l’Union européenne : le dispositif doit être adopté par le Conseil, organe rassemblant les ministres des États membres. Le certificat Covid numérique devrait donc finalement entrer en vigueur d’ici le 1er juillet 2021 pour une durée d’un an.
Ce n’est pas un “passeport”, mais un “certificat”
L’Union européenne avait principalement le choix entre deux voies pour lancer son certificat – qu’on n’appellera pas “passeport” pour ne pas rappeler ce document éradiqué au sein de l’Union, suppression qui est un acquis de l’espace Schengen –, et lui a fallu choisir la plus efficace des deux.
En matière de santé, l’Union européenne ne peut que compléter l’action des États membres, c’est du moins ce que prévoit le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (article 168). La demande de certificat est d’ailleurs réclamée par le Conseil européen (les États membres) dans une déclaration du 25 février dernier.
Mais la crise sanitaire affecte aussi la libre circulation des citoyens de l’Union européenne, que sont les 400 millions de ressortissants des États membres. Et sur ce sujet, l’Union a bien plus de pouvoir : elle peut légiférer sur les motifs qui peuvent permettre de franchir une frontière ou de s’établir dans un autre État membre. Elle l’a fait en 2004 en encadrant de manière contraignante le droit de séjour des citoyens dans un autre État.
La Commission, ainsi missionnée par les États, doit alors choisir quelle voie elle prend pour mettre en place son certificat. La voie “sanitaire” et ses mesures peu contraignantes, ou bien la voie “citoyenne” et son pouvoir bien plus important ?
Le 17 mars, la vice-présidente de la Commission Vera Jourova a dévoilé le projet de texte, et a opté pour la deuxième option, plus contraignante. Le certificat Covid numérique, désormais adopté par le Parlement européen, n’a plus qu’a être adopté par le Conseil (les ministres des États membres). Il s’imposera alors à tous ceux qui voudront franchir une frontière intérieure.
En plus d’être contraignante vis-à-vis des États membres, la voie “citoyenne” choisie par la Commission a un autre avantage : elle permet de montrer que ce certificat a pour but de faciliter la libre circulation des citoyens, un droit protégé par les traités (article 21 TFUE). La situation ne pourra en effet qu’être meilleure qu’aujourd’hui, où chaque État a ses propres règles pour l’entrée sur son territoire : immunité, test négatif, quarantaine, etc. Un certificat uniforme a pour avantage d’harmoniser les motifs de déplacement.
D’où l’intérêt de parler de “certificat” et non de “passeport”, qui serait vu comme une nouvelle restriction, ou un retour avant Schengen, cet accord qui a supprimé les contrôles aux frontières.
Ce n’est pas un certificat “vaccinal”
En raison du risque de discrimination, ce certificat sanitaire ne se limitera pas aux vaccins. Il pourra en effet se baser sur un test négatif ou un test indiquant que la personne est déjà immunisée (voir l’article 3 du texte adopté par le Parlement). Ce certificat prendra la forme d’un code-barre sous forme électronique ou papier. Il sera disponible dans chaque langue mais traduit en anglais pour faciliter sa lecture dans les différents États.
Quant aux vaccins concernés, bien évidemment il s’agit des quatre autorisés à ce jour au niveau européen : Pfizer-BioNTecH, Moderna, AstraZeneca et Johnson & Johnson. Mais, les États membres pourront décider d’accepter des vaccins non homologués par l’Agence européenne des médicaments si ces vaccins font partie de la liste des vaccins répertoriés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour une utilisation d’urgence, notamment le vaccin russe Sputnik ou le vaccin chinois Sinopharm utilisés par certains États comme la Hongrie.
En somme, ce certificat devrait permettre à toute personne prouvant qu’elle est immunisée ou qu’elle n’est pas contaminée de voyager. Tout citoyen européen entrant dans cette catégorie aura donc un feu vert pour circuler.
L’Union européenne va-t-elle désormais régir les frontières des États ?
Il est faux de dire que la gestion des frontières relève des seuls États membres. La gestion du marché intérieur est une compétence qui appartient à la fois à l’Union et aux États, or, le marché intérieur est un espace sans frontières, régi par une législation européenne permettant de déterminer les modalités de cet espace : quelles marchandises sont interdites – on se souvient que lors de la crise de la vache folle l’Union a interdit l’importation sur le continent de boeuf britannique –, ou encore sous quelles conditions les citoyens peuvent s’installer ou même circuler – la France, en toute légalité, a rétabli les contrôles à ses frontières au lendemain des attentats de novembre 2015.En réalité, la gestion des frontières est un bien commun des États membres et de l’Union européenne. Mais l’idée reçue selon laquelle les frontières relèvent de chaque État a son pendant à l’extrême droite, qui accuse régulièrement l’Union d’organiser une disparition des frontières. En droit comme en politique, la vérité est souvent située quelque part entre deux excès.
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