Roger Karoutchi, sénateur LR, propose une loi qui créerait, selon lui, « un service normal (dans les transports) aux heures de pointe en cas de grève »
Dernière modification : 15 juin 2022
Auteur : Jean-Paul Markus
Source : Proposition de loi déposée au Sénat, 7 mai 2018
La proposition de loi de M. Karoutchi, tendant à instaurer un « service normal aux heures de pointe », n’oblige que la SNCF et pas les cheminots. En cas de grève massive, elle restera un vœu pieux.
Roger Karoutchi, sénateur LR des Hauts-de-Seine, ancien ministre, probablement excédé par les grèves à la SNCF, certainement soucieux de la vie quotidienne de ses compatriotes, vient de déposer avec des collègues une proposition de loi au Sénat (n° 468) instaurant « un service garanti dans les transports aux heures de pointe en cas de grève ». Cette proposition complète un article déjà existant du code des transports (L. 1222-3) qui prévoit que « pour assurer les dessertes prioritaires, l’autorité organisatrice de transports (en l’occurrence la SNCF) détermine différents niveaux de service en fonction de l’importance de la perturbation. Pour chaque niveau de service, elle fixe les fréquences et les plages horaires».
M. Karoutchi souhaite ajouter juste à la suite le complément suivant : « sauf pour les heures de pointe pendant lesquelles le service doit être normal ». Ce qui donnerait : « Pour chaque niveau de service, (la SNCF) fixe les fréquences et les plages horaires, sauf pour les heures de pointe pendant lesquelles le service doit être normal ». Un service normal durant les heures de pointe ! C’est d’ailleurs le seul point de cette proposition de loi, avec un bel effet d’affichage à la clef.
Mais cette proposition, si elle était adoptée, ne garantirait en rien un service normal. Elle complèterait en effet un texte qui résulte d’une loi du 21 août 2007 dont l’un des objets était d’ « organiser la continuité du service public en cas de grève ». Cette loi oblige les cheminots et d’autres agents des services publics à se déclarer grévistes ou non 48 heures à l’avance, délai que l’établissement qui gère ce service public (ici la SNCF) doit mettre à profit pour organiser une desserte minimale : ce service minimum, selon la même loi, « doit permettre d’éviter que soit portée une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et venir, à la liberté d’accès aux services publics, à la liberté du travail, à la liberté du commerce et de l’industrie et à l’organisation des transports scolaires. Il correspond à la couverture des besoins essentiels de la population… ».
Comme on l’a déjà dit en commentant des propos de Valérie Pécresse, cette obligation d’assurer un service minimum ne pèse que sur la SNCF, pas du tout sur les agents qui ne sont concernés que par l’obligation de se déclarer grévistes 48 heures à l’avance, et par l’interdiction de faire grève s’ils se déclarent non-grévistes, sous peine de sanction. D’ailleurs, la loi ne pourrait imposer un service normal aux cheminots, même aux seules heures de pointe, sans violer la Constitution : le Conseil constitutionnel (décision de 2007) ne l’admettrait pas. Il admet déjà les limitations du droit de grève pour assurer les « besoins essentiels de la population », mais il censurerait assurément un « service normal » aux heures de pointes, qui va bien au-delà des besoins essentiels.
Dans ces conditions, la SNCF tente d’assurer des dessertes minimales selon les impératifs dictés par la loi, mais elle le fait avec les seuls agents non-grévistes. Cela signifie que si la grève est peu suivie, la SNCF dispose d’un nombre suffisant d’agents non-grévistes pour assurer les dessertes minimales. Mais si la grève est très suivie, comme c’est le cas pour les conducteurs de trains, il ne reste pas assez de non-grévistes pour que la SNCF puisse appliquer la loi. Et si la loi, telle que proposée par M. Karoutchi, prévoit non plus un service minimal mais « un service normal aux heures de pointe », cela n’aura pas plus d’effet si la grève est très suivie. Ou alors la SNCF tentera d’assurer un service normal aux heures de pointe (à condition qu’elle dispose de suffisamment de non-grévistes), mais laissera les heures creuses… sans trains. En somme, une loi de plus qui serait ineffective.
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