Selon Éric Zemmour « l’Union européenne a obligé à dépénaliser l’immigration clandestine »
Dernière modification : 21 juin 2022
Auteur : Matthias Kerguelen, étudiant en Master droit global du changement climatique à l’université Jean Moulin Lyon 3, sous la direction de Tania Racho, docteure en droit public, Université Paris II Panthéon-Assas
Source : Face à l’info, Cnews, le 3 novembre 2020 et Compte Twitter d’Eric Zemmour, le 4 novembre 2020
Le droit européen interdit seulement une chose : poursuivre pénalement un étranger pendant le délai qui lui a été accordé pour quitter le territoire. Au-delà, s’il se maintient sur le territoire, il est possible de le poursuivre (amende et emprisonnement au besoin). Et s’il entre irrégulièrement sur le territoire, il peut aussi être poursuivi. En réalité, la dépénalisation mentionnée par Éric Zemmour tient du bon sens : ne pas emprisonner un étranger à qui on demande parallèlement de partir…
Invité de l’émission Face à l’info sur Cnews et s’exprimant sur la vague d’attentats touchant l’Europe, Eric Zemmour a accusé l’Union européenne de favoriser l’immigration clandestine sur le continent. Il a notamment affirmé que l’Union européenne avait contraint les États à supprimer les poursuites pénales contre les étrangers en situation irrégulière, les empêchant, par exemple, de procéder à leur arrestation. Or c’est faux. Si le droit européen limite la criminalisation des étrangers en situation irrégulière sur le territoire européen, les Etats gardent leur marge de manœuvre.
Il est vrai que depuis l’adoption de la directive “retour” de l’Union européenne, réglementant l’expulsion des étrangers en situation irrégulière sur le territoire d’un État membre, il n’est plus possible d’enclencher des poursuites pénales contre un étranger en situation irrégulière lorsqu’il a fait l’objet d’une décision l’obligeant à quitter le territoire (soit par lui-même, soit par expulsion). Dans cette hypothèse, pendant toute la période durant laquelle il est censé se préparer à partir, le droit européen interdit de le considérer comme en situation de délit (décision de la Cour de justice de l’Union européenne). Toutefois, même en l’absence de délit, le droit européen n’interdit pas aux États de placer dans un centre de rétention un étranger en situation irrégulière, s’ils jugent cette mesure nécessaire à l’effectivité de l’expulsion (article 8 de la directive “retour”).
De plus, il existe toujours une peine de prison et une amende en cas d’entrée irrégulière en France d’une personne non ressortissante de l’Union européenne (un an de prison et 3 750 euros d’amende, article L621-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile). Cela n’est en rien remis en cause par la législation européenne.
Enfin, lorsqu’un étranger s’est maintenu sur le territoire malgré la décision l’obligeant à partir, et passé le délai qui lui a été accordé pour s’exécuter, la législation européenne permet aux États de considérer cela comme un délit. Les sanctions pénales sont donc de nouveau autorisées à ce moment (décision de la Cour de justice de l’Union européenne).
Dès lors, tous les aspects du séjour irrégulier d’un étranger ne sont pas dépénalisés. En outre, l’unique situation dans laquelle le droit européen oblige à dépénaliser relève du bon sens, puisqu’emprisonner un individu durant la période pendant laquelle il est censé se préparer à quitter le territoire reviendrait à l’empêcher de se conformer à son obligation.
Les allégations d’Éric Zemmour sont donc en grande partie fausses et manifestent son incompréhension des objectifs du droit européen, qui sont de favoriser un départ volontaire des étrangers en situation irrégulière (plutôt qu’une expulsion difficile à mettre en œuvre) afin de garantir autant que faire se peut le respect de leurs droits fondamentaux.
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