Marine Le Pen : la Turquie “a touché de la part de l’Union européenne […] 44 milliards d’euros dans les 15 dernières années !”
Dernière modification : 21 juin 2022
Auteur : Nicolas Guénardeau, étudiant en master 2 droit européen des affaires à l’Université Jean Moulin Lyon 3, sous la direction de Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur au laboratoire VIP (Paris-Saclay)
Source : CNews, La Matinale, le 4 novembre 2020
Marine Le Pen confond subventions… et prêts et en ce qui la concerne, difficile de croire à une erreur de débutant. S’il est exact que l’Union européenne a versé à la Turquie près de 44 milliards d’euros, 30 milliards constituent en réalité des prêts accordés par la Banque européenne d’investissement dont une part est déjà remboursée avec intérêts. La Turquie a reçu en réalité 14 milliards d’euros de subventions, dont 4,5 milliards pour lui sous-traiter la gestion des migrants à l’extérieur de l’Union.
C’est dans un contexte de tension entre le Président Emmanuel Macron et le Président turc Recep Tayyip Erdogan, que Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national, s’est étonnée et insurgée du fait que l’Union européenne aurait versé ces 15 dernières années plus de 44 milliards d’euros à la Turquie. Ces propos doivent néanmoins être précisés, qu’il s’agisse de la nature des versements effectués, de leur objectif ou de leur durée.
Il y a d’abord les fonds versés à la suite de l’accord conclu entre l’Union européenne et la Turquie, qui a fait l’objet d’une déclaration le 18 mars 2016. Il s’agissait d’accroître la coopération entre l’Union et la Turquie concernant la situation des migrants à la frontière gréco-turque. En échange d’une coopération de la part de la Turquie dans le démantèlement des réseaux clandestins de passeurs et le retour des migrants ayant traversé illégalement la frontière, l’Union a versé depuis 2016, 4 milliards d’euros à la Turquie. S’ajoutent à cela les 485 millions d’euros versés pour l’exercice 2020. Il s’agit donc ici d’une subvention versée par l’Union à la Turquie en contrepartie d’une participation à la lutte contre l’immigration.
Il y a ensuite les sommes versées au titre de l’aide à la pré-adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Il s’agit d’une aide versée aux États tiers souhaitant adhérer à l’Union. Mise en place par un règlement du 17 juillet 2006 et amendée à deux reprises, cette aide a notamment pour objectif de permettre aux États candidats de satisfaire aux critères d’adhésion à l’Union et de renforcer la coopération transfrontalière. La Turquie bénéfice de cette aide depuis 2007 à hauteur de 9,07 milliards d’euros, même, il est vrai, si les chances d’adhésion sont nulles : la Turquie ne respecte notamment pas les valeurs inscrites à l’article 2 du Traité sur l’Union européenne, dont l’État de droit. Or, le respect de ces valeurs fait partie des critères d’adhésion.
Là où le bât blesse, c’est qu’alors même que les négociations entre l’Union et la Turquie sont “au point mort” d’après la Commission européenne, le budget prévisionnel 2021-2027 devrait prévoir une nouvelle enveloppe pour la Turquie.
Il y a enfin les versements de la Banque européenne d’investissement, qui n’est pas une institution de l’Union, financée par les États membres, qui depuis 1965 a versé à la Turquie 30,43 milliards d’euros en vue de la réalisation de 261 projets d’investissements, dans des domaines comme l’énergie ou les transports. Précisons toutefois qu’il s’agit de prêts dont le taux d’intérêt varie entre 3 et 4,5% et non de subventions comme le laisse entendre Madame Le Pen. Une partie de ces sommes a donc déjà été remboursée avec intérêts, et le reste est en cours de remboursement.
Ces 15 dernières années, la Turquie a donc reçu un peu moins de 14 milliards d’euros en subventions, le reste étant des prêts à intérêts.
Contactée, Marine Le Pen n’a pas répondu à nos questions.
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