COVID-19 : le député Aurélien Taché veut rendre le télétravail « contraignant »

Création : 26 octobre 2020
Dernière modification : 21 juin 2022

Auteur : Timothée Droulez, étudiant en Master à l’Université Paris Dauphine-PSL et à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, sous la direction de Pascal Caillaud, chercheur au CNRS, laboratoire Droit et changement social

Source : Sud Radio, L’invité politique, 14 octobre 2020

Il est probable que le virus circulerait moins si on rendait le télétravail contraignant, mais la Constitution protège la liberté d’entreprendre et donc la libre organisation de l’entreprise. L’État ne peut qu’encourager le télétravail, mais pas l’imposer. Cela ne signifie pas pour autant que les employeurs peuvent en toute impunité laisser contaminer leurs employés en leur faisant prendre des risques inutiles. Ils restent responsables de la sécurité sanitaire dans l’entreprise et ont donc tout intérêt à organiser le télétravail là où c’est possible.

Au matin de la prise de parole du Président Macron au 20h de TF1 ce mercredi 14 octobre et les rumeurs de couvre-feu l’accompagnant, le député Écologie Démocratie Solidarité du Val d’Oise était l’invité politique de Sud Radio. Interrogé au sujet d’un éventuel couvre-feu appliqué dans les zones d’alerte maximale, il s’est indigné au sujet des entreprises qui, malgré la situation sanitaire, refusent encore le télétravail à leurs salariés. Il a proposé notamment de rendre le télétravail contraignant pour certaines d’entre elles, en particulier celles ayant reçu des aides de l’État ou ayant bénéficié du dispositif chômage partiel.

En mars dernier, l’État encourageait toutes les entreprises qui le pouvaient à passer leurs équipes en télétravail, puisque le confinement l’imposait. S’il est fortement recommandé dans le contexte sanitaire actuel, le télétravail n’est pas une obligation imposée par la loi. Il repose sur des accords collectifs ou individuels, et sa mise en œuvre s’appuie essentiellement sur l’initiative de l’employeur. Ainsi, le code du travail prévoit que son application résulte d’un accord entre l’employeur et le salarié, sur proposition de l’un d’entre eux (article L1222-9). En cas de circonstances exceptionnelles, comme l’épidémie actuelle, l’employeur peut en revanche imposer le télétravail à ses salariés, pour leur protection et pour la pérennité des activités de l’entreprise (article L1222-11). Le déclenchement de cette procédure relève là encore de la responsabilité de l’entreprise, et si l’État peut l’encourager, il ne peut pas l’imposer. Une loi contraignant les entreprises à instaurer le télétravail serait en effet contraire à la liberté d’entreprendre, principe constitutionnel qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Ainsi, c’est en vertu de la liberté d’entreprendre que l’employeur décide librement de l’organisation interne de son entreprise. Reste que l’employeur doit tout de même tenir compte de l’obligation de sécurité à l’égard de ses employés (article L 4121-1). L’employeur pourrait même engager sa responsabilité pénale (article L.4741-1) si un employé à qui le télétravail aurait été refusé devait être contaminé par la Covid-19 sur son lieu de travail.

En conclusion, imposer le télétravail serait contraire à la Constitution. Mais l’employeur n’est pas pour autant libre : s’il fait courir des risques inutiles à ses employés, il risque jusqu’à un an d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende en cas de récidive, si un de ses employés devait être contaminé (sans compter une responsabilité civile qui se traduirait par l’obligation d’indemniser l’employé ou ses proches). En somme, la liberté donnée aux entreprises dans l’exercice de leur activité se traduit par une responsabilité lourde, qui devrait les inciter à accroître encore la part du télétravail dans leur organisation..

Mise à jour du 29 octobre à 10h17 : Aurélien Taché a pris soin de nous répondre par un argumentaire basé sur les circonstances exceptionnelles : tout comme ces circonstances ont pu permettre de fermer des entreprises ou de les soumettre à couvre-feu, elles permettraient d’imposer le télétravail.

Nous en doutons, pour les raisons suivantes. Fermer une entreprise constitue paradoxalement une atteinte moins grave à la liberté d’entreprise que de lui imposer un modèle d’organisation. Le Conseil constitutionnel a toujours protégé la liberté de l’entrepreneur de choisir sa stratégie et les moyens de la mettre en oeuvre, sous réserve du respect des normes environnementales, sanitaires, sécuritaires, etc. Il a ainsi censuré une loi empêchant l’entreprise de choisir le repreneur lorsqu’elle cède une branche de son activité. La limitation excessive du droit de licencier n’est pas non plus possible.

De la même façon, rendre le télétravail obligatoire suppose la mise en place d’une organisation spécifique, pérenne, et donc très intrusive quant aux choix de l’entreprise. D’autant que le télétravail est parfois incompatible avec la nature de l’entreprise, ou encore préjudiciable aux salariés qui y perdraient certains acquis. C’est d’ailleurs pourquoi le gouvernement a renvoyé la question aux partenaires sociaux. 

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