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Volodymyr Zelensky lors de son inauguration présidentielle le 20 mai 2019. Crédit : President.gov.ua, CC BY 4.0

Volodymyr Zelensky est-il le « président de rien » comme l’affirme Jean-Luc Mélenchon ?

Création : 26 août 2025

Auteur : Nicolas Turcev, journaliste

Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Clara Robert-Motta, journaliste

Source : Conférence aux Amfis, le 22 août 2025

Lors des universités d’été de La France insoumise, le leader du mouvement a repris à son compte la thèse russe selon laquelle le président ukrainien usurpe sa fonction. Mais en réalité, la Constitution ukrainienne autorise le maintien de Volodymyr Zelensky au pouvoir.

Jean-Luc Mélenchon ne veut pas de la signature de Volodymyr Zelensky sur un éventuel accord de paix en Ukraine. « Vous plaisantez ? Il n’est président de rien. Depuis mai dernier, son mandat est arrivé à terme », a tancé le leader insoumis, le 22 août 2025, depuis Châteauneuf-sur-Isère (Drome), où se sont tenues les universités d’été (Amfis) de son parti.

Le triple candidat à la présidentielle a en partie raison. Démarré en 2019, le mandat de Volodymyr Zelensky à la tête de l’Ukraine a bien expiré le 24 mai 2024 (et non 2025). Mais la Constitution l’autorise à se maintenir dans l’attente de nouvelles élections et de la levée de la loi martiale, comme nous l’avions déjà expliqué.

La loi martiale interdit l’organisation d’élections

Deux dispositions clefs de la loi ukrainienne justifient cette situation. D’une part, l’article 108 de la Constitution dispose que « le président de l’Ukraine exerce ses pouvoirs jusqu’à l’entrée en fonction du président de l’Ukraine nouvellement élu ». Autrement dit, Zelensky ne partira pas tant que de nouvelles élections n’auront pas été tenues.

Or, la loi martiale – en vigueur en Ukraine depuis le 24 février 2022 et le début de l’invasion russe – dispose à l’article 19, qu’« il est interdit d’amender la Constitution de l’Ukraine, d’amender la Constitution de la République autonome de Crimée, d’organiser les élections du président de l’Ukraine, ainsi que les élections à la Verkhovna Rada [le Parlement, ndlr] de l’Ukraine ».

Le Parlement, qui doit donner son approbation, a décidé de la prorogation de la loi martiale seize fois depuis le début du conflit. Ainsi, tant qu’elle ne sera pas levée, aucun remplaçant ne pourra être élu et Volodymyr Zelensky continuera d’« exercer ses pouvoirs », comme le prévoit la Constitution.

Un scénario irréaliste

Certains juristes estiment tout de même qu’une modification de la loi martiale par la Rada ou sa suspension temporaire pourraient ouvrir la voie à de nouvelles élections. Mais un tel scrutin poserait de nombreux défis à un pays en guerre et vidé d’une bonne partie de ses électeurs.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky s’adresse aux député de la Verkhovna Rada à Kyiv le 1er décembre 2021. Crédit : GENYA SAVILOV / AFP

 

L’Ukraine compte en effet environ 10,6 millions de déplacés, dont 6,9 millions qui ont quitté le territoire. Or, seuls 400 000 de ces derniers figuraient, en mars 2025, sur les listes consulaires, d’après le président de la Commission centrale électorale ukrainienne, Oleh Didenko

« [En plus des déplacés], nous avons des territoires occupés, des zones qui ont été complètement détruites, souligne le responsable dans une interview. La situation réelle des habitants qui résident dans ces villes n’est pas reflétée sur les listes électorales. » Par exemple, 56 000 votants sont encore enregistrés dans la ville de Bakhmout, dans l’oblast de Donetsk, alors que la ville, détruite par les combats, a été vidée de ses habitants.

Ces obstacles logistiques se combinent au risque sécuritaire posé par l’agression russe. Plus de 600 drones et missiles ont été tirés depuis la Russie vers l’Ukraine dans la nuit du 20 au 21 août 2025, alors que des pourparlers pour parvenir à une cessation du conflit sont toujours en cours. Difficile, dans ces conditions, de garantir un processus électoral serein. Pour Oleh Didenko, la convocation d’un nouveau scrutin nécessite avant tout « la paix en Ukraine ».

Les Ukrainiens en faveur d’un délai

Sa position rejoint celle adoptée par 400 ONG ukrainiennes dans une déclaration commune publiée en février 2025. Quelques jours après que le président états-unien Donald Trump a traité Volodymyr Zelensky de « dictateur sans élections », la société civile lui a répondu en écartant la tenue d’un scrutin sans avoir d’abord obtenu « une paix durable ». La Rada avait, elle aussi, voté une résolution pour entériner le principe d’élections après la levée de la loi martiale, et réaffirmer son soutien à Volodymyr Zelensky.

La cote de confiance du président ukrainien ne traduit d’ailleurs pas un rejet massif de son action à la tête du pays. Deux tiers (67 %) des Ukrainiens font confiance à Volodymyr Zelensky, selon un récent sondage de l’institut Gallup, et 80 % d’entre eux lui reconnaissent une « légitimité démocratique », selon une étude de l’institut Ipsos parue en mars 2025.

Un an auparavant, 69 % des Ukrainiens résidant dans le pays souhaitaient que Volodymyr Zelensky reste président jusqu’à la fin de la loi martiale, d’après un rapport du Kyiv International Institute of Sociology. Un autre sondage, réalisé en février 2025 par l’institut Socis, a confirmé qu’une grande majorité (63 %) des Ukrainiens ne souhaitaient pas d’élections avant la fin de la guerre.

Même le leader de l’opposition, Petro Poroshenko, n’est pas en faveur d’élections en temps de guerre, avait-il déclaré au Guardian en mars 2025.

Le narratif du Kremlin

Le procès en légitimité du président ukrainien fait partie de l’arsenal diplomatique de la Russie depuis le début de la guerre. L’expiration du mandat de Volodymyr Zelensky, en mai 2024, n’a fait qu’amplifier les attaques.

Le président états-unien, Donald Trump, et le présidnet russe, Vladimir Poutine, lors d’une conférence de presse sur la guerre en Russie à Joint Base Elmendorf-Richardson à Anchorage en Alaska, le 15 août 2025. Crédit : Drew Angerer / AFP

 

« La légitimité de l’actuel chef de l’État [ukrainien] a pris fin », avait déclaré Vladimir Poutine, le président russe, quelques jours plus tard. Des propos récemment repris par son ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, lors d’une interview avec la chaîne états-unienne NBC. Le 22 août 2025, le diplomate a qualifié Volodymyr Zelensky de « chef de facto » et l’a accusé de « faire semblant d’être un leader », alors qu’une rencontre bilatérale entre les présidents ukrainien et russe est en cours de préparation.

Comme il l’a lui-même expliqué, Vladimir Poutine estime – à tort – que la loi martiale ne permet pas de prolonger les pouvoirs du président ukrainien. Or, en vue de la conclusion d’un accord de paix, l’ancien agent du KGB exige la « signature […] des autorités légitimes ». « Sinon, le prochain [président] viendra, et dira : ‘on le met à la poubelle' », craint le maître du Kremlin.

C’est aussi le raisonnement de Jean-Luc Mélenchon : « Si vous faites signer un accord par quelqu’un, qui est ensuite remplacé par quelqu’un d’autre qui dit ‘moi, je n’étais pas au courant et [mon prédécesseur] ne représentait personne’, […] tout est ramené à zéro. Nous avons donc besoin d’un président légitime […] pour signer l’accord de paix », a déclaré l’ancien sénateur socialiste à la tribune des Amfis.

Plusieurs observateurs pensent que le refus de reconnaître la légitimité de Volodymyr Zelensky fait partie des stratégies déployées par Moscou pour saboter ou ralentir les négociations de paix. Mais le Kremlin accuse lui aussi les Occidentaux, et surtout les Européens, de tenter « d’empêcher » la tenue de ces discussions. Les demandes « insistantes » – qui ne sont pas spécifiées – de Volodymyr Zelensky remettraient en cause le « processus » mis en place par Donald Trump et Vladimir Poutine après leur rencontre en Alaska, le 15 août 2025, selon Sergueï Lavrov.

Les présidents ukrainien, français, états-unien, finlandais et la première ministre italienne à la Maison Blanche le 18 août 2025. Les leaders européens ayant rejoint Volodymyr Zelensky pour sa rencontre avec Donald Trump. Crédit : Andrew Caballero-Reynolds / AFP

 

Une réunion entre Ukrainiens et Américains doit avoir lieu à la fin de la semaine, a annoncé Volodymyr Zelensky lors d’une conférence de presse, le 24 août. Les échanges devraient principalement porter sur les garanties de sécurité pour l’Ukraine, alors que Kyiv cherche depuis plusieurs années à rejoindre l’Otan. 

Une ligne rouge pour la Russie, qui devrait demander à l’Ukraine d’y renoncer, ainsi qu’à la région du Donbass et à la présence de troupes occidentales sur son territoire, selon Reuters.

Contactée pour obtenir un commentaire, La France insoumise n’avait pas répondu à nos sollicitations au moment de la publication.