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Loi Duplomb : le Conseil constitutionnel a-t-il « décidé à la place des élus », comme l’affirme Laurent Wauquiez ?

Création : 8 août 2025

Auteur : Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public à l’Université de Poitiers

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Etienne Merle, journaliste

Source : Laurent Wauquiez , le 7 février 2025

Laurent Wauquiez accuse le Conseil constitutionnel d’avoir « décidé à la place des élus » et d’avoir contredit sa position d’il y a cinq ans. Or, ce sont les élus eux-mêmes, dont Laurent Wauquiez, qui ont confié au Conseil le pouvoir de censurer certaines dispositions, et le contexte n’était pas le même cinq ans plus tôt.

Réagissant à la censure d’une partie de la « loi Duplomb », le chef du groupe LR à l’Assemblée nationale a déclaré, sur le réseau social X, qu’il était « difficile encore une fois de trouver normal que le Conseil constitutionnel décide à la place des élus d’interdire ce qui était autorisé il y a cinq ans ». 

Une déclaration doublement discutable, le Conseil ne se substituant pas à la volonté des élus et n’ayant pas rendu, comme le député le sous-entend, une décision contredisant celle qu’il avait adoptée il y a cinq ans.

La censure d’une disposition phare de la « loi Duplomb »

Le 7 août 2025, le Conseil constitutionnel a rendu son verdict concernant la « loi Duplomb ». Les sages ont formulé deux réserves d’interprétation et n’ont pas estimé que l’usage de la motion de rejet préalable portait atteinte aux règles de la procédure législative. En revanche, ils ont censuré l’article de la loi très contestée sur l’interdiction d’utiliser des produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes.

Le Conseil constitutionnel ne se substitue pas à la volonté politique

Selon Laurent Wauquiez, en déclarant cette disposition contraire à l’article 1er de la Charte de l’environnement garantissant le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, le Conseil aurait « décidé à la place des élus ». Cette rhétorique du « gouvernement des juges » qui prendraient des décisions politiques en lieu et place du Parlement est infondée. 

En 2005, c’est le Parlement lui-même qui, en adoptant la Charte de l’environnement, a choisi d’en faire une règle à laquelle il entendrait se conformer à l’avenir. Parmi les députés ayant voté « pour » figurait d’ailleurs un jeune élu… nommé Laurent Wauquiez. Le Conseil constitutionnel ne fait ici que respecter cette volonté politique en l’appliquant.

Le Conseil constitutionnel ne contredit pas sa propre jurisprudence

Par ailleurs, en relevant que cette instance a « décidé […] ce qui était autorisé il y a cinq ans », le chef du groupe LR à l’Assemblée nationale laisse entendre que nous serions en présence d’une décision incohérente. 

À en croire l’élu, le Conseil constitutionnel, en plus de se substituer à la volonté politique, ne respecterait pas sa propre jurisprudence en adoptant une décision contredisant la précédente. 

Là encore, la critique de Laurent Wauquiez n’est pas fondée. D’une part, rien n’interdit au Conseil de faire évoluer sa jurisprudence au fil du temps, car le précédent n’est pas, en France, une règle qui s’impose au juge. D’autre part et en tout état de cause, la décision rendue hier ne contredit pas celle qui a été rendue sur le même sujet il y a cinq ans.

Comme le Conseil constitutionnel le souligne dans son communiqué de presse, la disposition soumise à son contrôle bénéficie d’un encadrement moindre que celui qui avait été retenu dans la loi précédemment soumise à son contrôle en 2020. Aussi, la décision qu’il a rendue hier, loin de constituer une innovation, s’inscrit en cohérence avec celle qu’il avait rendue il y a cinq ans.

Dans un État de droit, il est sain de faire preuve d’esprit critique à l’égard d’une institution chargée de faire respecter les règles constitutionnelles. Encore faut-il que ces critiques soient pertinentes, faute de quoi elles fragilisent inutilement la crédibilité du Conseil constitutionnel.