Droit à l’aide à mourir : attention à cette liste de mesures qui ne figurent pas dans la proposition de loi votée
Dernière modification : 5 juin 2025
Autrice : Clarisse Le Naour, double cursus L3 science politique et L3 droit public à l’université Lumière Lyon II
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste
Nicolas Turcev, journaliste
Source : Compte X, le 24 mai 2025
Une liste diffusée sur les réseaux sociaux relative à la proposition de loi sur la fin de vie contient plusieurs affirmations qui ne reflètent plus le contenu du texte, adopté par l’Assemblée le 27 mai. Les Surligneurs font le point sur ce que contient réellement le document, qui doit encore être examiné par le Sénat.
Permis de tuer ? Alors que la question de la fin de vie suscite un débat de plus en plus vif en France, une proposition de loi relative au droit à l’aide à mourir a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale, le 27 mai 2025. Le texte, porté par le député MoDem Olivier Falorni, doit encore être examiné par le Sénat à l’automne.
Dans ce contexte sensible, une liste virale qui prétend alerter sur les mesures contenues dans la proposition de loi circule sur X et Facebook. Consulté par près de 2 millions de personnes depuis le 24 mai 2025, cet inventaire continue à circuler, alors même que les députés ont voté un texte différent.
Selon cette publication, le texte ouvrirait la voie à une pratique totalement incontrôlée de l’aide à mourir : absence de restrictions de lieu, pouvoir unilatéral du médecin, suppression de la clause de conscience…
Si certaines de ces mesures étaient présentes dans la proposition initiale avant qu’elle ne soit débattue en séance publique, de nombreux amendements ont fait évoluer le texte. Plusieurs informations contenues dans la liste partagée sur les réseaux sont donc devenues caduques, quand elles n’étaient pas déjà fausses.
Voici ce que contient réellement la proposition de loi votée à l’Assemblée nationale.
Non, l’injection létale ne pourra pas avoir lieu « partout, sans restriction »
La publication affirme que les injections pourront avoir lieu « partout » et sans « restriction ». Autrement dit, les internautes laissent entendre que l’administration de la substance létale serait possible dans n’importe quel lieu sans encadrement ni contrôle. Or, ce n’est pas ce qui est écrit dans la proposition de loi adoptée dans l’Hémicycle.
Le texte prévoit bien dans son article 7 des restrictions sur le lieu où la substance létale pourra être administrée : « Dans des conditions convenues avec le médecin ou l’infirmier chargé de l’accompagner, l’administration de la substance létale peut être effectuée, à la demande de la personne, en dehors de son domicile, à l’exception des voies et espaces publics. »
Autrement dit, la personne pourra effectivement choisir de mourir chez elle, à l’hôpital ou dans un Ehpad, mais pas « partout », puisque les lieux publics sont exclus. Cette précision, qui ne figurait pas dans le texte initial, a été apportée par un amendement socialiste.
Non, le médecin ne pourra pas décider seul
Autre affirmation erronnée : l’idée que le médecin pourrait accorder seul l’aide à mourir, « sans contre-pouvoir ni collégialité ». « Celui qui a écrit cette affirmation n’a pas suivi les débats parlementaires ou même la réécriture de l’article 6 », juge Martine Lombard, professeure émérite de droit public et spécialiste de la fin de vie.
« Pour procéder à l’appréciation des conditions [d’ouverture au droit à l’aide à mourir] le médecin met en place une procédure collégiale », indique l’article 6 du texte. Concrètement, le médecin doit notamment réunir un collège pluriprofessionnel, composé a minima d’un autre médecin sans lien hiérarchique et d’un auxiliaire médical.
La décision finale est ensuite « prise par le médecin à l’issue de la procédure collégiale », confirme Martine Lombard. Le médecin dispose de 15 jours, à partir de la notification de la demande, pour réunir ce collège puis rendre un avis médical motivé au patient. Ainsi, bien qu’au bout du processus, c’est bel et bien le médecin qui prend la décision finale, celle-ci peut difficilement être qualifiée de « solitaire ».
Cette procédure collégiale est déjà utilisée pour la sédation profonde, une pratique consistant à endormir un patient atteint d’une maladie grave et incurable de manière continue jusqu’au décès pour soulager des souffrances réfractaires.
Virginie Motta, médecin en soin palliatif à l’hôpital public, affirme que le médecin ne décide pas seul lors de ce processus : « La décision, c’est l’aboutissement de la réflexion collégiale, et le médecin ne peut pas prendre une décision qui va à l’encontre de la décision globale qui a été décidée. Ce n’est pas un groupe lambda qui traite le dossier, c’est une décision d’équipe, où il y a de l’écoute. »
Le texte initial ne prévoyait la présence obligatoire que d’un seul médecin, au lieu de deux actuellement, au sein du collège professionnel, et ne posait pas de frein à ce que la concertation puisse intervenir à distance, sans besoin de justifier d’une quelconque impossibilité.
Un amendement a été adopté lors de la séance publique visant à « améliorer la procédure collégiale ». Désormais, l’article 6 dispose que « la réunion du collège pluriprofessionnel se déroule en la présence physique de tous les membres. En cas d’impossibilité, il peut être recouru à des moyens de visioconférence ou de télécommunication. »
Une clause de conscience est bel et bien prévue
Autre argument avancé par certains internautes : « La loi ne […] reconnaît aucune clause de conscience [à] ceux qui délivrent la substance. » Mais là encore, il faut être précis. Le texte voté par l’Assemblée explique bien que les médecins ne seront pas contraints de participer à l’aide à mourir s’ils s’y opposent personnellement.
L’article 14 prévoit explicitement une clause de conscience : « Les professionnels de santé mentionnés […] ne sont pas tenus de participer aux procédures […]. Le professionnel qui ne souhaite pas participer doit, sans délai, informer la personne ou le professionnel le sollicitant de son refus et leur communiquer le nom de professionnels disposés à participer. »
Aucun médecin ne sera obligé d’administrer une substance létale s’il refuse de le faire pour des raisons éthiques ou d’ordre personnel.
En revanche, cette clause de conscience ne s’appliquera pas, en l’état actuel de la proposition de loi, aux pharmaciens dont les missions pourraient concourir à l’administration de la substance létale. Les députés de droite avaient pourtant tenté d’élargir le champ de cette clause de conscience. Seuls les professionnels de santé qui sont éligibles à faire partie du collège pluriprofessionnel seront en mesure de faire appel à cette clause de conscience.
Un délai incompressible de deux jours
La publication rappelle, à juste titre, qu’il suffira de 48 heures pour confirmer sa demande d’aide à mourir. Mais il est ensuite précisé que ce « délai pourra être réduit ». Or, ce n’est plus le cas.
Si le texte initial prévoyait une possible réduction de ce délai si cela s’avérait « de nature à préserver la dignité » du patient, cette disposition a été supprimée en séance publique. Les 48 heures avant de procéder à l’aide à mourir sont donc, en l’état du texte, incompressibles.
Le patient n’est par ailleurs pas tenu de se prononcer dès que ce laps de temps est écoulé, et peut même ne jamais valider sa demande. En revanche, l’expression de sa « volonté libre et éclairée » sera réexaminée si sa validation intervient trois mois après l’avis favorable rendu par le médecin.
Le texte définitif de la loi sur l’aide à mourir n’est pas encore arrêté : il devra encore passer l’étape du Sénat, à l’automne prochain.