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Image d'illustration. Domaine public.

Non, on ne dénombre pas 11 auteurs de féminicides pour 500 000 étrangers extraeuropéens

Création : 12 mars 2025

Auteur : Nicolas Turcev, journaliste

Relecteurs : Clara Robert-Motta Journaliste

Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Etienne Merle, juriste

Source : Compte Facebook, le 8 mars 2025

Un graphique largement relayé sur les réseaux sociaux présente des chiffres inexacts sur la répartition des homicides conjugaux en fonction de la nationalité.

Les thèses racistes défendues par le collectif d’extrême droite Némésis font des émules. Alors que le groupuscule qui dit « défendre les femmes occidentales » a été déclaré persona non grata par les organisatrices de la manifestation pour les droits des femmes du 8 mars dernier, un graphique posté sur les réseaux sociaux viendrait accréditer sa thèse principale : les responsables d’agressions sexistes sont principalement des étrangers.

Déjà mise en échec par l’analyse des faits et des causes de la délinquance, notamment par Libération, cette théorie serait étayée, selon un internaute, par l’analyse des profils des auteurs de féminicides. 

Cet utilisateur avance que, pour 500 000 personnes de nationalité française, il y aurait seulement 3 auteurs d’homicides conjugaux, contre 11 pour les étrangers non européens. « La cause soutenue par Némésis est juste », conclut-il. La publication a été repartagée plus de 1 000 fois sur X (ex-Twitter), avant que son auteur ne la supprime.

Pas uniquement des féminicides

Mais après vérification des sources citées par cet internaute, le diagnostic ne tient pas. Sur les 119 auteurs d’homicides conjugaux en 2023, 92 sont de nationalité française et 27 de nationalité étrangère, dont 25 sont des ressortissants d’un pays hors Union européenne (UE), selon la dernière étude nationale relative aux morts violentes au sein du couple, publiée par le ministère de l’Intérieur.

Le document ne précise pas, parmi ces 25 étrangers hors UE, s’il s’agit de femmes ou d’hommes ni s’ils ont été inquiétés pour avoir tué un homme ou une femme. Il est donc d’emblée impossible, à partir de cette seule source, d’affirmer que les 25 étrangers hors UE se sont tous rendus coupables de féminicides.

Néanmoins, selon cette même étude,  81 % des victimes d’homicides conjugaux en 2023 étaient des femmes, et 82 % des auteurs étaient des hommes. En règle générale, l’origine de la violence ne souffre donc d’aucune contestation possible : elle est très majoritairement exercée par des hommes sur des femmes.

Le compte n’est pas bon

Reste à connaître le nombre d’étrangers hors UE vivant en France pour pouvoir déduire la proportion d’auteurs d’homicides conjugaux parmi eux. Ils étaient 3,5 millions en 2023, selon les statistiques de l’Insee.

Un simple produit en croix permet donc d’en déduire que, sur cette période, pour 500 000 étrangers extraeuropéens en France, on comptait 3,5 auteurs d’homicides conjugaux parmi eux. Et non pas 11. 

Le même calcul donne une statistique de 0,67 auteur d’homicides conjugaux pour 500 000 Français en 2023, au lieu des 3 annoncés. Plutôt que d’utiliser une mappemonde ou un globe, l’auteur de l’infographie erronée illustre la catégorie « étrangers hors UE » par une carte de l’Afrique. Un ciblage qui fait écho aux discours aux relents islamophobes affichés de Némésis.

Mais, même à supposer que les 25 étrangers extraeuropéens responsables d’homicides conjugaux soient exclusivement des ressortissants africains, ce qu’il n’est pas possible d’affirmer sur la foi du rapport du ministère de l’Intérieur, la statistique serait de cinq auteurs d’homicides conjugaux pour 500 000 ressortissants africains. Et toujours pas 11.

Des chiffres à interpréter avec précaution

Enfin, les chiffres bruts de la criminalité nécessitent toujours d’être contextualisés, surtout lorsqu’ils sont indexés sur le pays d’origine. Le fait que la part d’auteurs d’homicides conjugaux parmi les étrangers extraeuropéens soit plus élevée qu’au sein des citoyens français ne veut pas dire qu’il existe des nationalités intrinsèquement plus criminogènes que d’autres, contrairement à ce qu’affirme le collectif Némésis.

Cette disparité statistique s’explique plutôt par des facteurs socio-culturels et économiques, selon les spécialistes. Dans une étude de 2004 qui analyse les caractéristiques démographiques et sociales des auteurs d’homicides, le sociologue Laurent Mucchielli note que les meurtriers sont en bonne partie des hommes entre 20 et 40 ans, issus des classes populaires, et en retrait de la société. 

Plus d’un tiers des homicides conjugaux commis en 2023 sont attribués à des personnes sans activité, selon le rapport du ministère de l’Intérieur. Si l’on y rajoute les meurtriers issus des rangs des retraités, des employés et des ouvriers, les couches socio-professionnelles les plus basses représentent 88% des auteurs d’homicides conjugaux en 2023. Contre seulement 12% pour les cadres, professions intermédiaires, artisans, commerçants et chefs d’entreprise.

Or, “les jeunes hommes sont […] surreprésentés dans la population immigrée”, avance un rapport du Centre d’études prospectives et d’informations internationales, rattaché à Matignon. “Surtout, les immigrés sont en moyenne plus pauvres que les natifs”, rajoutent les auteurs de l’étude. Ces caractéristiques rendent donc “les immigrés plus susceptibles d’être en infraction avec la loi”.